Les vaines tendresses | Page 5

Sully Prudhomme
du front maternel,?Qui laves ce que rien ne lave,?Où donc es-tu, parfum d'autel!
[Illustration]
[Illustration]
L'éTOILE AU COEUR
Par les nuits sublimes d'été,?Sous leur d?me d'or et d'opale,?Je demande à l'immensité?Où sourit la forme idéale.
Plein d'une angoisse de banni,?à travers la flore innombrable?Des campagnes de l'Infini,?Je poursuis ce lis adorable...
S'il brille au firmament profond,?Ce n'est pas pour moi qu'il y brille:?J'ai beau chercher, tout se confond?Dans l'océan clair qui fourmille.
Ma vue implore de trop bas?Sa splendeur en chemin perdue,?Et j'abaisse enfin mes yeux las,?Découragés par l'étendue.
Appauvri de l'espoir ?té,?Je m'en reviens plus solitaire,?Et cependant cette beauté,?Que je crois si loin de la terre,
Un laboureur insoucieux,?Chaque soir à son foyer même,?Pour l'admirer, l'a sous les yeux?Dans la paysanne qu'il aime.
Heureux qui, sans vaine langueur?Voyant les étoiles rena?tre,?Ferme sur elles sa fenêtre:?La plus belle luit dans son coeur.
[Illustration]
[Illustration]
DOUCEUR D'AVRIL
à ALBERT MéRAT
J'ai peur d'Avril, peur de l'émoi?Qu'éveille sa douceur touchante;?Vous qu'elle a troublés comme moi,?C'est pour vous seuls que je la chante.
En décembre, quand l'air est froid,?Le temps brumeux, le jour livide,?Le coeur, moins tendre et plus étroit,?Semble mieux supporter son vide.
Rien de joyeux dans la saison?Ne lui fait sentir qu'il est triste;?Rien en haut, rien à l'horizon?Ne révèle qu'un ciel existe.
Mais, dès que l'azur se fait voir,?Le coeur s'élargit et se creuse,?Et s'ouvre pour le recevoir?Dans sa profondeur douloureuse,
Et ce bleu qui lui rit de loin,?L'attirant sans jamais descendre,?Lui donne l'infini besoin?D'un essor impossible à prendre.
Le bonheur candide et serein,?Qui s'exhale de toutes choses,?L'oppresse, et son premier chagrin?Rajeunit à l'odeur des roses.
Il sent, dans un réveil confus,?Les anciennes ardeurs revivre,?Et les mêmes anciens refus?Le repousser dès qu'il s'y livre.
J'ai peur d'Avril, peur de l'émoi?Qu'éveille sa douceur touchante;?Vous qu'elle a troublés comme moi,?C'est pour vous seuls que je la chante.
[Illustration]
[Illustration]
PèLERINAGES
En souvenir je m'aventure?Vers les jours passés où j'aimais,?Pour visiter la sépulture?Des rêves que mon coeur a faits.
Cependant qu'on vieillit sans cesse,?Les amours ont toujours vingt ans,?Jeunes de la fixe jeunesse?Des enfants qu'on pleure longtemps.
Je soulève un peu les paupières?De ces chers et douloureux morts;?Leurs yeux sont froids comme des pierres?Avec des regards toujours forts.
Leur grace m'attire et m'oppresse,?En dépit des ans révolus?Je leur ai gardé ma tendresse;?Ils ne me reconna?traient plus.
J'ai changé d'ame et de visage;?Ils redoutent l'adieu moqueur?Que font les hommes de mon age?Aux premiers rêves de leur coeur;
Et moi, plein de pitié, j'hésite,?J'ai peur qu'en se posant sur eux?Mon baiser ne les ressuscite:?Ils ont été trop malheureux.
[Illustration]
JUIN
SONNET.
Pendant avril et mai, qui sont les plus doux mois,?Les couples, enchantés par l'éther frais et rose,?Ont ressenti l'amour comme une apothéose;?Ils cherchent maintenant l'ombre et la paix des bois.
Ils rêvent, étendus sans mouvement, sans voix;?Les coeurs désaltérés font ensemble une pause,?Se rappelant l'aveu dont un lilas fut cause?Et le bonheur tremblant qu'on ne sent pas deux fois.
Lors le soleil riait sous une fine écharpe,?Et, comme un papillon dans les fils d'une harpe,?Dans ses rayons encore un peu de neige errait.
Mais aujourd'hui ses feux tombent déjà torrides.?Un orageux silence emplit le ciel sans rides,?Et l'amour exaucé couve un premier regret.
[Illustration]
[Illustration]
LA BEAUTé
Splendeur excessive, implacable,?? Beauté, que tu me fais mal!?Ton essence incommunicable,?Au lieu de m'assouvir, m'accable:?On n'absorbe pas l'idéal.
L'éternel féminin m'attire,?Mais je ne sais comment l'aimer.?Beauté, te voir n'est qu'un martyre,?Te désirer n'est qu'un délire,?Tu n'offres que pour affamer!
Je porte envie au statuaire?Qui t'admire sans acre amour,?Comme sur le lit mortuaire?Un corps de vierge, où le suaire?Sanctifie un parfait contour.
Il voit, comme de blanches ailes?S'abattant sur un colombier,?Les formes des vivants modèles,?à l'appel du ciseau fidèles,?Couvrir le marbre familier;
Il les choisit, il les assemble,?Tel qu'un lutteur, toujours debout,?Et quand l'ébauche te ressemble,?D'aucun désir sa main ne tremble,?Car il est ton prêtre avant tout.
Calme, la prunelle épurée?Au soleil austère de l'art,?Dans la pierre transfigurée?Il juge l'oeuvre et sa durée,?D'un incorruptible regard;
Mais, quand malgré soi l'on regarde?Une femme en ce spectre blanc,?à lui parler l'on se hasarde,?Et bient?t, sans y prendre garde,?Dans la pierre on coule du sang!
On appuie, en rêve, sur elle?Les lèvres pour les apaiser,?Mais, amante surnaturelle,?Tu dédaignes cet amant frêle,?Tu ne lui rends pas son baiser.
Et vainement, pour fuir ta face,?On veut faire en ses yeux la nuit:?Les yeux t'aiment et, quoi qu'on fasse,?Nulle obscurité n'en efface?L'éblouissement qui les suit.
En vain le coeur frustré s'attache?à des visages plus cléments:?Comme une lumineuse tache,?Ta vive image les lui cache,?Dressée entre les deux amants.
Tu règnes sur qui t'a comprise,?Seule et hors de comparaison;?Pour l'ame de ton joug éprise?Tout autre amour n'est que méprise?Qui dégénère en trahison.
Celles qu'on aime, on les désole,?Car, mentant même à leurs genoux,?Sans le vouloir on les immole?à toi, la souveraine idole?Invisible à leurs yeux jaloux.
Seul il sent, l'homme qui te crée,?Tes maléfices s'amortir;?Sa compagne au foyer t'agrée?Comme une étrangère sacrée?Qui ne l'en fera point sortir;
L'artiste impose pour h?tesse,?Dans son coeur comme dans ses yeux,?L'humble mortelle à la déesse,?Vouant à l'une sa tendresse,?à l'autre un culte glorieux!
Jamais ton éclat ne l'embrase:?T'enveloppant, pour te saisir,?D'une rigide et froide gaze,?Il n'a
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 15
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.