Les tendres ménages | Page 5

Paul Jean Toulet
vous... répond Sylvère d'un air tendre. Et après, nous irons à
Paris?
--Ça vous amuse donc?
--Oh! oui, je voudrais tant monter à la tour Eiffel, et aller à Montmartre.
--La Basilique?
Sylvère fait la moue.
--Non, dit-elle; les cabarets de nuit.
Et elle fait de grands yeux, comme s'il était question de jardins
paradisiaques, hantés des poètes, des couleuvres bleues, des fées.
--Après tout, ajoute-t-elle, ça n'est peut-être pas très drôle.
--C'est ce que je me suis laissé dire.

--Et je crois que j'aime mieux Hargouët, affirme Sylvère d'un air sage.
Mais les trois coups retentissent, et ils se hâtent vers l'église.
Elle est petite, grise, ratatinée, avec des vitraux trop neufs et des
tableaux trop enfumés; et elle sent le cierge refroidi. Mais le curé, qui
est vieux et rouge, s'essaye de si bon courage à prononcer un petit
sermon en français. Il est ému, il s'embrouille, tourne court, et fait un
signe à l'instituteur, qui entonne formidablement un credo de
grand'messe; en sorte que les verrières, qui ne sont pas habituées sur
semaine à un tel vacarme, frissonnent de peur dans leurs plombs et se
disent:
--Cette fois-ci, il va nous casser.
Et, la messe finie, on se rend à la sacristie pour chercher le curé. Du
plus loin qu'il aperçoit la jeune femme, il s'écrie, avec l'honnête accent
des Pyrénées:
--Eh bien, Mademoiselle Sylvère, ça va toujours bien. Et comment
avez-vous passé la nuit?

II
L'ODEUR DES PLAGES
(La scène est à Biarritz, quelque temps après.)
Voilà plusieurs heures que M. et Mme de Mariolles-Sainte-Mary ont
laissé Hargouët se dissiper à l'horizon, avec la montagne. Pau, blanche
et grise, habillée de feuillages divers, s'est déroulée le long de la
voie.--Orthez a fait montre de son pont, dont les guides illustrés
abusent un peu, vraiment. Mais Francis Jammes n'était pas à la gare, ni
sa pipe; et peut-être est-il à rêver de Guadeloupe sous quelqu'un de ces
érables auxquels il se plaît à prêter le nom magnifique et barbare de
liquidambars. En sorte que la gare est triste, sillonnée de rares
figurants.

D'autres gares, inutiles aussi, se suivent: il y en a qui sont tout au bord
de l'Adour, où l'on voit des gens qui jettent des filets, et de grands
arbres dans les îles. Enfin, on aperçoit Bayonne, les deux clochers
blancs d'une cathédrale haut perchée, des glacis, des contrescarpes. Le
train semble tourner autour, faire exprès de s'arrêter, en des lieux
tellement déserts que le chef de gare, évidemment, y est mort, lui aussi,
sans avoir pu vendre un seul billet depuis l'Empire. Et on ne l'a pas
remplacé.
Contre toute vraisemblance, quelqu'un monte, salue avec un air de
connaissance. C'est un monsieur assez jeune, en costume de chasse,
avec des belles moustaches couleur cirage. Mariolles n'a eu d'abord l'air
satisfait qu'à moitié. («Saleté, pense-t-il, de Compagnie, qui ne met pas
de coupés à ses trains omnibus.») Mais il se rassérène presque aussitôt.
Somme toute, un tiers ne messied point, après plusieurs semaines d'un
bonheur en tête-à-tête, à peine coupé de quelques beaux-parents. (Et
encore, on ne pouvait même pas les garder à dîner: ils s'en allaient tout
de suite, avec un air gêné et de croire qu'on n'attendait que leurs talons
pour se remettre au lit.)
Mariolles présente le monsieur:
--Ma chère amie, le comte de San Buscar. Vous avez dû apprendre mon
mariage, demande-t-il.
--Certainement, mon cher ami. Toutes mes plus sincères félicitations.
San Buscar dissimule mal, sur sa grosse figure, en regardant Sylvère,
cette pensée commune aux hommes qui rencontrent de nouveaux
mariés: «Si je pouvais être le premier avec qui elle le trompera!»
--Vous venez de la chasse, Monsieur?
--Si, justement. J'ai été tuer quelques sarcelles sur la Nive.
Et, s'adressant à Mariolles, en ouvrant les bras:
--On prend ce qu'on trouve. Il n'y a pas de gibier dans votre pays, mon

cher. Je voudrais que vous vissiez ça, dans l'Amérique: c'est une chose
extraordinaire.
--Il y a peut-être moins de chasseurs. A part cela, que devenez-vous?
En garçon, à Biarritz?
--Mais non, mais non. La comtesse, elle est là aussi.
--(«Tiens, se dit Sylvère, tiens; tiens: la comtesse est là.» Et si elle
n'ajoute pas dans son for intérieur: «Chouette, on va rigoler», c'est que
ces expressions ne lui sont point familières.)
--Elle sera bien heureuse, ajoute San Buscar, de connaître Madame la
baronne de Mariolles.
«Madame la baronne de Mariolles» s'incline avec un sourire, et
Monsieur répond sans enthousiasme apparent:
--Certainement, nous serons bien honorés, quoique nous ne passions
que quelques jours; et puis, vous savez, San Buscar, une jeune mariée,
ça ne sort pas beaucoup.
--Tout de même, proteste tendrement Sylvère, vous ne comptez pas me
laisser sous clef à l'hôtel, tandis que vous serez sur la plage?
--Et puis, mon cher, reprend l'étranger, si vous saviez comme Imogène
est
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 45
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.