pas, ma cousine, quoiqu'on ne s'en vante pas trop,
chez vous, que vous descendez du terrible Cazenave?
--Cazenave?
--Oui, celui qui a organisé dans ce pays le clergé de l'abbé Grégoire.
--Non?
--Comment! je vous montrerai, sur les livres de prix de ma mère,
«l'infâme Cazenave». Vlan!
--Et l'abbé Grégoire, qu'est-ce qu'il a fait, celui-là? demande Sylvère,
qui n'a pas tous ses brevets.
--Ce qu'il a fait? Mais tout le monde sait ça. C'était un abbé de la
Révolution... qui a écrit une brochure... il a donné son nom à une rue...
il a...
Quelques coups heurtés à la porte viennent interrompre cette leçon
d'histoire un peu laborieuse.
--Qui est là?
--C'est moi, Ursule.
--Qu'est-ce que tu veux?
--Je venais voir à quelle heure madame la baronne veut dîner.
--A midi, je pense.
Elle interroge des yeux Mariolles, qui fait signe que oui.
--Et ce qu'il faut faire?
--Ça m'est égal. Ah! oui, de la garbure.
--Avec des fèves, dit Mariolles, qui veut tout de même mettre son mot.
--Mais, Monsieur, fait Ursule, la saison est passée depuis longtemps.
--Naturellement, dit Mariolles vexé.
--Et mon chocolat, est-ce que tu l'apportes?
--Je l'ai là, avec celui de Monsieur.
--Eh bien, mets-les tous les deux dans sa chambre. Ah! et puis je
voudrais aller à la messe.
--Mais elle doit être dite, affirme Mariolles, qui voudrait bien
maintenant dormir un peu.
--Elle est finie depuis une demi-heure, dit Ursule, toujours derrière la
porte. J'en viens. Même que c'est le petit Peyrenave, qui est ici de
passage, qui l'a dite; vous savez, celui...
--Oui, oui, mais écoute, tu vas aller trouver M. le curé, alors, et qu'il
serait bien gentil d'en dire une autre, à dix heures, pour mon mari et
moi;--et qu'il viendra dîner avec nous, après.
--Oui, Madame.
Exit Ursule, et Mariolles conclut en bâillant un peu:
--Alors vous croyez qu'il faut se lever?
L'église n'est pas loin, au bout du parc. Le soleil est déjà haut quand
sortent les jeunes mariés; mais il reste de la rosée sur les dernières roses,
à l'ombre, éclaircie déjà, des marronniers. Les pieds pointus de Sylvère,
et parfois sa traîne quand elle oublie de la relever, font frou-frou dans
les feuilles mortes.
--J'aime Hargouët, fait-elle avec un petit air mélancolique.
C'est la première fois qu'elle le regarde avec des yeux de femme. Le
vieux parc, les cèdres dont les branches d'en bas sont mortes, et, toute
couverte de fougères, la muraille noire d'où ses frères et ses cousins,
autrefois, jetaient des pierres aux enfants de l'école, tout cela, elle le
reconnaît, et lui découvre un aspect nouveau.
Comme la cloche vient de sonner les douze coups, et qu'on en a encore
pour un quart d'heure, ils s'asseoient tous deux sur un banc jadis vert.
Sylvère rêve et joue avec le fermoir de son beau missel Saint-Sulpice,
qu'une cousine enlumina pour ses noces. A quoi songe Mariolles?
Moins sensible au charme intérieur des choses, il admire sans émoi
cette belle matinée, semblable à d'autres. Pour lui, elle ne rit pas sur un
paysage familier, dont ses regards aient épousé mille fois la figure
changeante et pareille; et son coeur d'enfant n'a pas battu ici.
--Oui, dit-il, vous aimez beaucoup Hargouët... Je suis presque jaloux de
cette maison, et de ces arbres.
--Ne leur en veuillez pas; ils ont été si bons pour moi. J'ai grimpé sur la
plupart de ces branches, avec mes terribles cousins, qui faisaient de moi
un vrai brigand. Et c'est ici que j'ai eu le premier sens de la vie un peu
profond, par la gourmandise; avec les plats sucrés qu'on nous servait
dans de la vaisselle Empire, où il y avait des vues de places bien pavées,
ou d'Agrigente, sur des assiettes jaunes--et la mort du général
Exelmans.
--Alors, vous ne regrettez pas que nous soyons d'abord venus ici, au
lieu d'aller à Biarritz?
--Oh! non, fait Sylvère, je n'ai jamais beaucoup goûté Biarritz. On y
rencontre trop d'Espagnols qui parlent français, et réciproquement.
--Il faudra tout de même y passer deux ou trois jours pour ne pas
scandaliser mon père. C'est là qu'il a fait son voyage de noces, sous le
second Empire, Sylvère; et il demeure stupide qu'on puisse aller
ailleurs. Lui, il voit encore tout ça comme c'était: Villa Eugénie,
bottines montantes, la livrée vert et or, et les premières courses de
taureaux avec El Tato, et les calèches à grelots sur la route de
Bayonne...
--Mais, vous-même, on m'a laissé entendre que vous y aviez quelque
peu fréquenté, depuis, et joyeusement.
--Peuh, comme tout le monde. Vous savez ce que c'est. (Pas du tout,
indique Sylvère.) On s'ennuie; alors on fait du bruit pour s'empêcher de
penser, et les bonnes gens de la rue croient qu'on s'amuse. Mais cela ne
vous est pas désagréable, au moins, d'aller là?
--Avec
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