de cette bonne race de campagnardes
que les émotions creusent. Et puis, et puis......
A ce moment on frappe, et un monsieur à pantalon de soie ample et
camisole entre de l'air le plus naturel du monde. Sylvère n'a pas eu
assez de lumière encore, ou de loisir, pour prêter attention à ce galant
déshabillé, et elle l'admire dans son coeur; car peut-être est-il inutile de
dire que, n'ayant point voyagé sur les Messageries Maritimes, elle n'est
point initiée aux mystères du pyjama. Elle ignore de même qu'un jour
son mari vieillissant reviendra à la bannière de ses pères. Il y a bien
d'autres choses que Sylvère ignore, et encore lui semble-t-il avoir
beaucoup appris depuis la veille.
--Bonjour, dit le pyjama, bonjour, monsieur Sylvère.
--Pourquoi, Monsieur?
--Sylvère, c'est un nom d'homme, non?
L'oreille de Mariolles se trouve, par hasard, tout près de la bouche de
Sylvère:
--Il me semble, lui dit-elle, presque bas, que vous ne m'avez pas
beaucoup traitée en homme, jusqu'ici.
Mariolles, un instant, a l'air stupéfait; un instant seulement, et, tandis
qu'il dissimule sa pensée dans ces cheveux fous que la nuque des
femmes offre à nos lèvres, Sylvère le sent rire.
--J'ai dit une sottise? demande-t-elle en faisant la moue. Et qu'est-ce
que ça fait que Sylvère soit un nom d'homme?
L'injustice de son mari l'indigne un peu:
--J'ai des cousins, reprend-elle, dont le fils aîné s'appelle toujours
Solange; c'est bien plus drôle, n'est-ce pas?
--Bien plus drôle, répond M. de Mariolles avec plus de docilité que de
conviction: elle le sent bien.
--Dire que le Pape a béni un aussi méchant homme que vous, dit-elle.
--Si méchant que ça...
--Oui, oui...
Ici la conversation est interrompue à nouveau, pendant quelques
instants, plusieurs instants même (il ne faut exagérer les mérites de
personne).
--Au fait, reprend Mariolles, pourquoi Sa Sainteté nous a-t-elle bien
voulu envoyer sa bénédiction? Nous sommes, pour ainsi dire, peu
connus d'Elle.
--Ça se fait beaucoup.
--C'est vrai aussi que ça devient difficile d'avoir Louis XIV à son
contrat.
--Et puis, c'est mon oncle qui nous a fait cette surprise. Je suis la
troisième de la famille qu'il fait bénir.
--Ah! votre oncle le gaffeur?
--Voyez-vous, s'écrie Sylvère en serrant ses tout petits poings, il insulte
déjà ma famille.
(Et pourtant, songe Mariolles qui a des distractions, et n'a point tout à
fait encore dépouillé l'homme des petits bars, vous êtes bien de chez
vous.)
Mais il s'explique:
--Je veux dire cet homme âgé qui a la barbe couleur éclipse de lune.
--Ah! oui, mon oncle Henry. Qu'est-ce qu'il a fait...... encore?
--Vous n'avez donc pas écouté son toast?
--Je ne pouvais pas: c'est le moment où la vieille demoiselle de
Moncade est venue arroser mon corsage--souvenirs et regrets--et je
m'occupais à interposer du linge à table.
--Vous y tenez beaucoup, à votre corsage? demande Mariolles.
Et il semble en vouloir embrasser les raisons, ce qui constitue, comme
on sait, une opération de l'entendement.
C'est-à-dire que je ne voulais pas... (voulez-vous me laisser,
Monsieur)... avoir l'air de n'avoir pas su manger ma soupe.
--Mlle de Moncade, reprend Mariolles: oui, oui, cette extraordinaire
girafe, qui a de longs poils sur la bouche. Elle fait penser à des échos de
revue agricole: Cas de longévité remarquable chez un mammifère du
Jardin d'acclimatation...
--Voulez-vous ne pas dire d'horreurs! Après tout, c'est votre cousine,
aussi; c'est même par elle que nous sommes un peu parents.
--C'est vrai que nous sommes parents, s'écrie Mariolles. Ah! ma
cousine, que je suis donc heureux du hasard qui nous a rapprochés un
moment. Vous embrasserai-je?
--Je ne sais pas si je dois... fait Sylvère. Mais, à la réflexion, elle doit.
Et cela fait encore quelques instants de silence. Comme l'une des
fenêtres est à moitié ouverte, on peut entendre avec netteté les
modulations aiguës d'un merle. Les vieux contrevents de bois plein sont
percés chacun d'un as de carreau, par où passe de l'air frais qui sent
l'herbe humide, la feuille jaune, les dernières fleurs; par où passe aussi
un rayon de soleil: sur son parcours il éveille ces poussières fantasques,
qu'on regarde danser, quand on est enfant, sous la tuile disjointe d'un
toit de grange--et lentement, lentement, il rampe sur le parquet.
--Mais enfin, reprend Sylvère, qu'est-ce qu'il avait, le toast de l'oncle
Henry?
--Vous n'avez jamais vu une mazette faire des moulinets avec une
queue de billard parmi des portraits de famille? C'était lui, et il y en a
eu pour tout le monde. Les principes politiques de mon père,
l'intelligence du...
Mariolles s'arrête court.
--Vous voulez dire du mien? Je sais, je sais. Et puis quoi? S'il a une
intelligence d'intérieur, comme dit ma mère......
--Mme de Ribes les a toutes. Pour en revenir au toast, les traditions
religieuses de votre famille ont un peu écopé aussi.
--Comment ça?
--Vous n'ignorez
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