avait pas de danger qu'on me pr?t pour un fils de millionnaire. Mais des vêtements déchirés, c'était la moindre des choses et j'allais avec cela comme à vide. Seulement, mon petit, ici s'arrêtait mon insouciance; quoique bien jeune, j'aurais eu honte de mendier. Au pays, on regarde cela comme un déshonneur, et on a raison; car un coeur bien placé ne se résigne pas aisément à vivre aux dépens d'autrui.... Oh! quand on ne peut pas faire autrement, quand on est infirme, je ne dis pas.... N'importe, c'est toujours un malheur!... Mais pour un homme solidement établi et qui possède ses membres au grand complet,... c'est le dernier des derniers; on ne peut descendre plus bas,... à mon sens, du moins. Ce que j'en dis n'est pas pour moi,--il ne m'appartient pas de me proposer en exemple,... je ne serais d'ailleurs qu'un triste modèle à imiter, car je n'ai point fait fortune,--mais pour vous, qu'il me peine de voir tra?ner une si misérable existence. Je sais bien, mon Dieu, que mes paroles sont inutiles pour le moment;... à votre age, on ne peut rien par soi-même, et votre tuteur ne me para?t pas homme à écouter mes raisons.... N'importe, je suis d'avis qu'on fait bien, lorsque l'occasion s'en présente, de laisser tomber quelque semence dans une terre fertile peut-être, quoique mal préparée, et qui sans cela pourrait demeurer à jamais improductive. La bonne saison venue, Dieu aidant, il lèvera toujours quelques touffes de bon grain, et c'est autant de gagné.... Mais nous reparlerons de cela dans six mois. En attendant, priez Dieu pour qu'il ne vous abandonne pas, et tachez de conserver les bonnes qualités qu'il vous a données.?
Ce disant, le brave homme boucla sa valise et la mit sur son dos comme un sac de soldat; puis, ayant embrassé les deux enfants, il prit dans un coin de la boutique son baton de voyage et partit en faisant résonner sur le pavé les nombreux clous de ses souliers. Nos amis, et Balthasar avec eux, debout sur le seuil, le regardaient tristement s'éloigner; mais au détour d'une rue, il disparut, et tous trois se retrouvèrent cette fois réellement seuls et abandonnés.
CHAPITRE IV.
César et Aimée devant l'église Saint-Séverin.
Le père Antoine leur avait dit de prier Dieu; c'était la deuxième fois depuis deux jours que la même recommandation leur était faite, et cela les préoccupait beaucoup, parce qu'ils ne savaient pas prier. Pourtant, après s'être consultés ils prirent congé de la marchande de vin, qui s'était montrée bonne pour eux, et se rendirent à l'église Saint-Séverin. Mais retenus par une extrême timidité, ils s'arrêtèrent devant le portail, et là, le visage collé sur les barreaux de la grille, regardèrent en silence les fidèles qui entraient et sortaient, leur livre de messe à la main; puis un mendiant assis sur un escabeau près de la porte, et une mendiante, sa femme sans doute, qui se tenait sur un autre escabeau. L'homme était aveugle,... d'après un écriteau qu'il portait sur la poitrine, mais nous n'oserions affirmer qu'il le f?t réellement. La femme avait les poignets retournés; ce qui ne l'empêchait point de secouer avec une persistance effrontée, sous le nez des gens qui passaient devant elle, un large gobelet d'étain dans lequel deux ou trois gros sous faisaient un tapage aga?ant. L'homme gardait une immobilité de statue.
Nos amis étaient là depuis quelques minutes, lorsque leur extérieur misérable excita la compassion de deux dames, lesquelles glissèrent dans la main d'Aimée une légère aum?ne.
?Qu'est-ce que c'est, demanda l'homme en se détournant, on nous fait de la concurrence?
--Si vous ne partez pas, ajouta la femme aux poignets retournés, je vous tire les oreilles! Qui est-ce qui vous a donné la permission de vous planter là et de recevoir les aum?nes qui nous sont destinées?... ?a ne va pourtant pas déjà si bien, ajouta-t-elle en regardant son compagnon.
--Attendons la sortie de la grand'messe; toutes les dames du quartier y sont entrées.
--Peuh! qu'est-ce que tout cela?
--Le beau temps va les disposer en notre faveur et leur faire délier les cordons de leurs bourses.
[Illustration: ?Si vous ne partez pas, je vous tire les oreilles!?.]
--Laisse-moi donc tranquille!... Elles vont rester là des heures à causer, à secouer leurs jupes, à encombrer le portail de telle fa?on que les bonnes gens qui nous assistent les autres dimanches ne nous verront seulement pas.
--C'est pas tout ?a!... Il y a déjà cent fois que je te le dis et te le répète, ce sont les quêteuses de l'intérieur qui nous font du tort.
--On en fourre partout, c'est vrai,... et des enj?leuses!... Faut les entendre dire avec leur petite voix fl?tée, ?Pour les pauvres!...? On croirait qu'il s'agit de leurs propres intérêts, parole d'honneur! Avec tout ?a, les sous qu'on leur donne ne tombent point dans nos gobelets.
--C'est une injustice, une indignité!...
--Je le sais aussi
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.