Les petits vagabonds | Page 7

Jeanne Marcel
l'argent, ?a ne vaut pas grand'chose;... mais on y est né, et on rêve d'y mourir; puis les vieux amis qu'on a laissés au départ, et qui vous attendent là-bas, et enfin les petits-enfants, les enfants des enfants, quoi!... Il y en a de votre taille, puis d'autres qui sont plus grands, et d'autres encore qui sont plus petits. Ils sont là, je ne sais combien vraiment, de tous les ages et de toutes les hauteurs, qui accourent à ma rencontre à qui sera embrassé le premier. Moi, qui suis, pour certaines choses, plus faible qu'une femme, ?a me rend heureux et ?a me fait pleurer.... On n'a pas idée de ces choses-là quand on n'y a point passé.... Enfin! c'est en souvenir de tout ce petit peuple que je me suis attaché à ces deux-là.?
Tout en causant, le brave homme regardait tour à tour la marchande et les enfants; mais on voyait bien qu'il s'adressait surtout à lui-même.
?Vous ne pouvez pas me comprendre, vous autres, dit-il à mes amis. Quant à la campagne, elle vous est inconnue. Qui donc vous aurait appris combien il est bon de contempler tous les jours un ciel à perte de vue, des bois, des champs, des prairies, des rivières, des chemins poudreux, des berges gazonnées de paquerettes que le bon Dieu prend la peine de semer lui-même? Personne, n'est-ce pas??
Pendant que le père Antoine achevait son frugal repas, la boutique du marchand de vin s'était remplie. Toutes les connaissances du brave homme, tenant à lui souhaiter un bon voyage, étaient venues lui serrer la main avant son départ. Tous avaient un souvenir et un souhait pour le pays. On parlait des vieux amis; de ceux qui vivaient toujours et de ceux qui n'étaient plus.
?Tu reverras Martial, disait l'un; est-il bien vieilli? a-t-il beaucoup de petits-enfants? son fils est-il soldat?....
--Et le père Léonard, disait un autre, comment porte-t-il ses quatre-vingts ans?
--Et Jean! disait encore un autre, est-ce que tu verras Jean? On dit qu'il fait du charbon dans la forêt de Fontainebleau.
--Ah! oui, Jean, répétait-on en choeur, quel bon camarade il faisait dans le temps!... Si tu vas le voir en passant, donne-lui donc une bonne poignée de main de ma part,? etc., etc.
Balthasar, ému sans doute de voir tous ces braves gens réunis, allait de l'un à l'autre, leur prodiguant les avances et les amitiés. On lui fit fête sans se demander à qui il appartenait ni d'où il venait. Sa bonne et intelligente physionomie lui tenait lieu de passe-port. Enhardi par ce bienveillant accueil, et sans doute aussi pour montrer aux amis du père Antoine que leurs caresses ne s'égaraient point sur un caniche ingrat, il se mit joyeusement, et sans y être invité, à exécuter quelques-uns de ses tours les plus simples, comme de se ramasser en boule et de rouler sur lui-même à l'imitation des clowns qui font la culbute; de s'étendre tout de son long sur le parquet pour contrefaire le mort; de courir, en allongeant précieusement les jambes, et bondir par-dessus des obstacles--obstacles imaginaires, puisque Joseph n'était pas là pour lui en tendre de réels--comme un cheval de course qui franchit des barrières. On avait pris go?t à ces jeux et on y applaudissait, ce qui encourageait et animait Balthasar; il se sentait apprécié. A la fin, tout essoufflé et la poitrine haletante, il disparut, mais pour repara?tre presque aussit?t une assiette entre les dents. Alors, entra?né sans doute par l'habitude, ou poussé par tout autre motif que j'ignore, il fit le tour de la salle en s'arrêtant respectueusement devant chacune des personnes présentes. Il recueillit environ cinquante centimes qu'il s'empressa de rapporter à ses jeunes ma?tres; lesquels, n'osant se montrer devant tout ce monde, se cachaient timidement derrière le père Antoine.
??à, leur dit le brave homme, ce chien est-il donc à vous!
--Oui, répondit Aimée en caressant le caniche, c'est notre ami Balthasar et nous l'aimons bien.
--Il le mérite; je ne crois pas avoir jamais vu un chien si habile, et je pense que vous pourrez en tirer de l'argent; mais si vous m'en croyez, c'est autrement que vous chercherez à gagner votre vie. Le métier que vous faites là, voyez-vous, c'est un métier de mendiants.
--D'ordinaire, Balthasar ne nous suit pas; ce n'est pas avec nous qu'il travaille, mais avec Joseph.
--Qui ?a, Joseph?
--Notre tuteur ... Notre métier, à nous, c'est de vendre des fleurs dans la rue....
--Oui, oui, je sais. Mais ce n'est pas encore là ce qu'il faudrait faire.... écoute, César, à ton age, j'allais aux champs garder les chèvres et les moutons de nos voisins. J'y gagnais mon pain quotidien et cent sols par mois. C'était peu, mais j'en faisais assez. Avec cela, tu penses, je n'avais pas souvent des culottes neuves, et comme ma belle-mère,--j'avais une belle-mère, moi,--ne me raccommodait jamais les vieilles, il n'y
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