Les parisiennes de Paris | Page 8

Théodore de Banville
derni��re, et que depuis cela il s'est ��coul�� une ann��e? Ah! oui, question terrible! Eh bien! voil�� la r��ponse, il ne faut pas qu'on s'en souvienne. Mais si mon coeur parle, si mon coeur bat? Il ne faut pas qu'il batte! Rose, Emma et Ad��le n'ont pas de coeur chez M. Scribe, et moi je suis Rose, je suis Emma, je suis Ad��le! Tout au plus peuvent-elles r��pondre en baissant les yeux aux madrigaux murmur��s par un fianc�� qui est leur cousin ou par un cousin qui est leur fianc��, sur l'air de La Robe et les Bottes, et c'est ce que je peux faire comme elles si le coeur m'en dit, car ma m��re m'a d��nich�� pour cela un cousin qui est n�� avec des gants, et qui copie ses habits, ses cravates, son sourire et jusqu'�� ses moustaches absentes et �� ses airs de t��te sur ceux de M. Berton, du Gymnase!
?Sans ironie, �� pr��sent, Jacqueline, voici la r��alit�� de mon atroce existence. Je me nomme, sur mon acte de naissance, Henriette-C��cile, de beaux noms, comme tu vois, et pour avoir une allure enfantine, il m'a fallu accepter le ridicule nom d'��m��rance, emprunt�� �� un roman de madame Ancelot. Il m'a fallu conserver �� mes bandeaux, par quels proc��d��s! cette nuance enfantine de blond pale avec des lumi��res d'or femelle que nul enfant ne garde pass�� quatre ans, quoi qu'il arrive! Ces cheveux qui, soign��s comme d'autres, auraient v��cu quarante ans, et qui meurent de s��cheresse, je vois ce qu'il en reste apr��s le d��m��loir, tous les jours! Je porte une natte. Enfin, ? Jacqueline! j'ai vingt-quatre ans! Sous cette fausse enfance que je fais durer avec ��pouvante et �� force d'intrigues, je sens poindre des rides qui ne pardonneront pas. Chez ma m��re, comme au th��atre, crois-tu que j'aie jamais eu le droit de quitter les absurdes petits ouvrages au crochet et de prendre un livre s��rieux qui m'instruirait, ou un beau roman qui me raconterait les pens��es et la vie des autres, puisque moi je ne puis ni penser ni vivre! Non, car on peut venir, et il faut qu'on me trouve v��tue du tablier de soie �� bretelles, parlant gnan-gnan, et m��me dans le salon de ma m��re, courant apr��s les papillons de M. Scribe! Surtout et avant tout, �� tout ce qu'on dit et �� tout ce qu'on nomme, il faut que je baisse les yeux et que je rougisse, et pour cela, je te prie de le croire, je n'ai pas de peine, car mon sang m'��touffe!
?Pourtant, j'ai aim��; ce n'est pas avec toi que je ferai la b��gueule! Deux fois, h��las, oui! deux fois d��j�� j'ai essay�� d'oublier mon enfer dans les illusions de ce r��ve! J'ai connu l'amour, mais non pas comme toi, en avouant fi��rement celui que j'avais choisi et en me glorifiant d'une passion sinc��re. C'est hypocritement, en mentant, en me cachant, que j'ai pr��t�� mon coeur sans le donner, avec l'arri��re-pens��e que je tentais une chose impossible. Ces douces confidences, qui s'��changent aux clart��s amies de la nuit et parmi ses ombres silencieuses, c'est le jour que je les ai faites, au grand soleil qui les effare, dans une maison o�� j'entrais voil��e, et d'o�� je sortais tremblante, masqu��e avec effroi de ma pudeur jou��e et de mon enfance d'emprunt. Et pourtant, chaque fois que j'ai essay�� ainsi d'��chapper �� ma solitude j'esp��rais bien que ce serait pour toujours; mais chaque fois il m'a fallu rompre en me laissant juger comme la derni��re des femmes sans coeur, car tu connais notre situation?
?Dix mille francs au moins par ann��e pour la toilette de th��atre et la toilette de ville, c'est ce que je d��pense au bas mot pour ��tre pauvrement v��tue au milieu des grandes actrices, parmi lesquelles je compte. Reste donc cinq mille francs pour vivre, ma m��re, ma tante et moi, dans un appartement qui en co?te d��j�� deux mille, et pour payer la pension de ma petite soeur. Il arrive toujours un moment o�� les dettes s'accumulent au point de rendre la vie impossible. Alors il faut avoir recours �� ces ressources mortelles que la vie de th��atre nous impose, et accepter cet or que le Vice et la Richesse nous vendent si cher. Mais, comme je suis une ing��nue! on obtient de notre sauveur que tout se passera myst��rieusement et qu'il ne fera pas troph��e de ma d��faite. On obtient un cong�� du directeur, et _je vais passer quelques semaines chez une parente_.
?C'est l�� que je suis en ce moment; chez quelle parente? dois-je te la peindre? Dans un nid dor�� de Villeneuve-Saint-Georges, qui a co?t�� deux millions �� embellir! Et, comme je te le disais, c'est pour venir chez cette parente que j'ai rompu le seul amour pour lequel j'aurais pu vivre; j'ai affront��
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