Les parisiennes de Paris | Page 6

Théodore de Banville
Th��r��se rentrer en possession des maisons d'o�� l'avait exil��e le Bonheur. Avec quelle arrogance elle tend des cordes aux murs du salon pour y faire s��cher son linge, et comme elle sait dire en trag��dienne: ?Passez-vous donc de moi!? Regardez-la, mena?ante, demi-ivre, avec ses petits yeux, sa bouche fendue �� coups de sabre et ses ��pais cheveux gris! Vient-elle de la nuit du Walpurgis, ou travaillait-elle, en attendant Macbeth, au fameux pot-au-feu des sorci��res?
Jamais de comptes avec Th��r��se. Elle fournit toujours, elle donne toujours, et elle met tout cela sur son livre. Quand on sera heureuse, quand on l'aura chass��e avec toutes les plus folles ivresses de la joie, on lui payera la dette tous les mois par ��-compte. Th��r��se sait avec quel bonheur on la chassera, elle le dit tous les jours, elle s'en vante et elle s'en venge. Ah! quoi qu'en dise un po?te, le seul livre, ce n'est pas l'Iliade, c'est le livre de Th��r��se!
On sait qu'�� la suite de ses folles amours avec un aventurier espagnol, la plus grande cantatrice de l'Europe, cette Luigia qu'on paye quatre mille francs par soir��e, avait vu sa fortune presque d��truite. Avant de partir pour l'Am��rique, pendant les deux derniers mois qu'elle passa �� Londres et �� Paris, il lui fallut prendre la bonne des grandes occasions, l'immortelle Th��r��se.
Entour��e d'amis fid��les qui l'avaient accompagn��e jusqu'au navire sur lequel elle s'embarquait pour la conqu��te de la Toison-d'Or, la bonne et joyeuse artiste riait tr��s-gaiement de ses m��saventures. Mais �� une pens��e soudaine, un nuage passa sur ses yeux, et elle fit l'adorable petite moue que nous aimons tant.
--?Ah! murmura-t-elle en mettant le pied sur le navire, il y a une seule chose qui m'ennuie, c'est le million que je dois �� Th��r��se!?
Deux jours apr��s le d��part de Luigia, un de ceux qui ��taient venus lui serrer une derni��re fois la main, rencontrait �� Paris, sur le boulevard du Temple, la grisette Mousseline, cette violette du printemps.
--?Mon pauvre ami! s'��cria la na?ve fillette, j'ai ��t�� bien malheureuse, allez; vous savez que j'avais vendu mes meubles pour Loredan, qui joue �� Batignolles. J'ai tant travaill�� que je me suis tir��e d'affaire. Mais, dit-elle en baissant ses jolis yeux de pervenche, le malheur, c'est que je dois trois cents francs �� Th��r��se, sur son livre! Il me faudra au moins deux ans pour me racquitter.?
Deux ��tres sont li��s l'un �� l'autre par la fatalit�� bizarre de leur existence, le jeune F..., qui a accept�� �� Paris la succession de don Juan, et Th��r��se. Depuis dix ans, sans se donner rendez-vous, ils vivent sous le m��me toit, chez des femmes diverses! Chaque fois qu'ils se rencontrent dans une maison nouvelle, leur regard dit comme au bagne: ?Quand sera-ce fini!?
Th��r��se a sur les hommes et les choses des appr��ciations �� r��veiller un mort. Vous nommez devant elle un de ces personnages dont la haute position et le g��nie incontest�� tiennent l'Europe en ��veil.
--?Si je le connais? dit-elle: je le tutoie! Je l'ai vu chez P��lagie, du temps qu'elle le cachait de ses cr��anciers dans une petite chambre, au septi��me!?

L'ING��NUE DE TH��?TRE
--��M��RANCE--
?_A mademoiselle Jacqueline Bouron, artiste dramatique en repr��sentation �� Bourges._
?Mon cher tr��sor,
?Il para?t que tu as un succ��s �� tout casser, l��-bas! et, s'il en ��tait autrement, la ville de Jacques Coeur serait un peu bien difficile, surtout pour une ville qui est morte. Depuis que l'omnibus du chemin de fer brouette �� l'h?tel du Boeuf-Enrag�� des c��l��brit��s parisiennes, ils n'ont pas vu souvent, j'imagine, une servante de Moli��re qui se porte comme celle-l��, en vraie fille de Toinon et de Dorine! Si ces tr��pass��s ne s'��taient pas r��veill��s un peu en voyant tes yeux d'enfer et tes noirs sourcils et tes l��vres que rougissent toutes les ardeurs de la sant�� et de l'amour, s'ils n'��taient pas rest��s extasi��s devant ce chignon de cheveux noirs, assez lourd pour courber une t��te moins fi��re que la tienne; enfin, comme dit ma tante, _si leur sang n'avait pas fait trois tours_ lorsqu'ils ont entendu ta voix hardie et superbe, c'est qu'ils auraient ��t�� glac��s et refroidis �� jamais, et il n'y avait plus d'esp��rance. Mais quoi! la nature a eu soin de te poser sur la joue une mouche assassine que t'envient toutes les femmes r��elles; partout o�� il y aura un homme, prince ou charbonnier, tu triompheras et vaincras par ce signe!
?Donc, c'est convenu, �� Bourges comme partout, tu es envi��e, f��t��e, applaudie, et, ce qui vaut mieux, aim��e, et, ce qui vaut mieux, heureuse! Rapporte-nous des tombereaux de fleurs et surtout beaucoup d'argent, et m��me, si tu veux, des souvenirs. Mais, ? Jacqueline fortun��e entre toutes les com��diennes, est-ce que tu as le temps d'avoir des souvenirs, toi d��esse et reine de l'heure pr��sente, toujours occup��e �� presser dans le cristal de ta coupe quelque grappe
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