Les parisiennes de Paris | Page 5

Théodore de Banville
��clate en sanglots, ou, abrutie par la douleur, s'assied sur la malle et reste immobile comme une idiote.
Alors,
Quand la Mis��re est vraiment bien entr��e chez la courtisane;
Lorsqu'il n'y a plus de ressource ni de spectre de ressource, ni de vain espoir d'une ressource chim��rique;
Que tout est fini;
Lorsqu'il n'y a plus ni le protecteur, ni le ?monsieur qui vient seulement quelquefois pour causer,? ni l'amant, ni l'ami de l'amant, ni l'amant de l'amie, ni le ?jeune homme avec qui l'amant s'est brouill�� parce qu'il le soup?onnait �� tort de faire la cour �� Musette,? ni ?l'artiste qu'on aime seulement comme un fr��re parce qu'il a ��t�� si obligeant,? ni ?le grand gar?on qu'on m��prise, mais qu'on re?oit cependant parce qu'il faut m��nager ces gens-l��,? ni le petit filleul sans cons��quence qui n'a que dix-sept ans;
Lorsqu'on a ��puis�� les cent francs et les louis, et les dix francs, et les cinq francs et les quarante sous;
Quand on a emprunt�� vingt sous �� la femme de m��nage, et dix sous �� la porti��re, et deux sous �� la laiti��re;
Quand on a vendu la derni��re chemise �� la derni��re marchande �� la toilette, et le dernier mouchoir de coton �� la derni��re revendeuse borgne;
Quand on a emprunt�� un bouillon �� la voisine sous pr��texte que son pot-au-feu avait bonne mine, et que, depuis ce bouillon aval��, on est rest��e un jour et demi sans manger;
Lorsqu'il n'y a plus qu'�� mourir;
Alors,
On va chercher TH��R��SE, la bonne des grandes occasions. On va chercher Th��r��se, et Th��r��se trouve de l'argent, comme Scapin et comme Mascarille; que dis-je! avec plus de g��nie cent fois, car ces princes de la Boh��me soutiraient des ��cus aux plus cr��dules des p��res, tandis que Th��r��se les gratte et les arrache sur les implacables rochers de la civilisation parisienne. Elle force les pierres �� suer de l'or, monnoie le n��ant, escompte le brouillard, et vend le diable cach�� au fond des bourses vides.
Elle trouve de l'argent! elle en trouve pour payer le propri��taire, pour ravoir les diamants et pour acheter du jambon de Bayonne. Par quel proc��d��? par quelle intrigue? par quels abominables mal��fices? M. de Humboldt, qui sait tout, ne devinerait assur��ment pas cela; mais quand on a vu Th��r��se partir en chasse avec l'oeil bouillant de courroux, Th��r��se agitant, comme une menace et comme un d��fi, le cabas de paille qu'elle emporte toujours vide et qu'elle rapporte toujours plein, on peut juger qu'elle ne s'en va pas �� des combats pour rire! A-t-elle un charme pour magn��tiser les pi��ces d'or comme on a cru que les serpents magn��tisaient les oiseaux, ou bien, comme l'aurait pens�� Th��odore Hoffmann, est-ce le diable lui-m��me qui les lui donne dans quelque bouge obscur, rue de la Limace?
Quoi qu'il en soit, il y a trente ans, mille ans peut-��tre! que Th��r��se trouve de l'argent, et elle n'a jamais eu d'argent. Elle ne veut pas en avoir, elle d��daigne l'argent, elle d��daigne la vie, et se hait elle-m��me; elle ne vit plus que par une passion sauvage, celle de l'Incarnation, par laquelle Vautrin se voyait revivre sous les traits charmants de Lucien de Rubempr��. Elle devient la ressource, l'ame et la vie m��me des courtisanes d��sesp��r��es; elle leur insuffle sa volont�� et leur infuse son sang.
A la voix de Th��r��se, le boulanger, le boucher et l'��picier sont rentr��s dans le devoir; des meubles de palissandre, des robes de soie et une vaisselle neuve ont paru par enchantement; mais la courtisane a un ma?tre, comme si elle avait sign�� un pacte avec son sang.
Elle n'a plus le droit de vouloir ni de penser, ni de r��ver. Cruelles amours, et vous caprices divins, fermez vos ailes! il faut ob��ir �� Th��r��se. Cette Marco ��chevel��e qui menait hier la gentry �� coups de cravache, aujourd'hui, voyez-la au balcon des Italiens! Avant de r��pondre a un regard ardent, elle l��ve timidement les yeux vers Th��r��se pour savoir si Th��r��se lui permet d'��tre touch��e et de sentir br?ler ses veines. Un soir elle s'est ��chapp��e; la voil�� �� demi couch��e sur un lit de repos; �� c?t�� d'elle, sur un gu��ridon, le vin du Rhin, vers�� dans les verres couleur d'��meraude, attire les rayons d'une lampe discr��te. A ses pieds, un enfant, beau comme l'Amour, la supplie tout en larmes, et elle lui abandonne ses mains moites et tremblantes.
Mais tout �� coup minuit sonne; elle se l��ve comme pouss��e par un ressort; elle s'��crie avec consternation: ?Il faut que je parte.?
Apr��s mille pri��res, apr��s avoir ��puis�� tous les moyens de la retenir, le jeune homme lui dit enfin:--?Mais qui vous rappelle chez vous, est-ce votre m��re??
--?Ah! r��pond la jeune fille, si ce n'��tait qu'une m��re!? et elle ajoute avec la sombre douleur des damn��s: ?C'est Th��r��se!?
Comme si ce nom devait r��pondre �� tout, et, en effet, il r��pond �� tout.
Il faut voir
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