s'excuse. Cette étrange révolution avait à peine été un choc; elle
n'avait pas même fait à la royauté vaincue l'honneur de la traiter en ennemie et de verser
son sang. Aux yeux des gouvernements despotiques toujours intéressés à ce que la liberté
se calomnie elle-même, la Révolution de Juillet avait le tort d'être formidable et de rester
douce. Rien du reste ne fut tenté ni machiné contre elle. Les plus mécontents, les plus
irrités, les plus frémissants, la saluaient; quels que soient nos égoïsmes et nos rancunes,
un respect mystérieux sort des événements dans lesquels on sent la collaboration de
quelqu'un qui travaille plus haut que l'homme.
La Révolution de Juillet est le triomphe du droit terrassant le fait. Chose pleine de
splendeur.
Le droit terrassant le fait. De là l'éclat de la révolution de 1830, de là sa mansuétude aussi.
Le droit qui triomphe n'a nul besoin d'être violent.
Le droit, c'est le juste et le vrai.
Le propre du droit, c'est de rester éternellement beau et pur. Le fait, même le plus
nécessaire en apparence, même le mieux accepté des contemporains, s'il n'existe que
comme fait et s'il ne contient que trop peu de droit ou point du tout de droit, est destiné
infailliblement à devenir, avec la durée du temps, difforme, immonde, peut-être même
monstrueux. Si l'on veut constater d'un coup à quel degré de laideur le fait peut arriver,
vu à la distance des siècles, qu'on regarde Machiavel. Machiavel, ce n'est point un
mauvais génie, ni un démon, ni un écrivain lâche et misérable; ce n'est rien que le fait. Et
ce n'est pas seulement le fait italien, c'est le fait européen, le fait du seizième siècle. Il
semble hideux, et il l'est, en présence de l'idée morale du dix-neuvième.
Cette lutte du droit et du fait dure depuis l'origine des sociétés. Terminer le duel,
amalgamer l'idée pure avec la réalité humaine, faire pénétrer pacifiquement le droit dans
le fait et le fait dans le droit, voilà le travail des sages.
Chapitre II
Mal cousu
Mais autre est le travail des sages, autre est le travail des habiles.
La révolution de 1830 s'était vite arrêtée.
Sitôt qu'une révolution a fait côte, les habiles dépècent l'échouement.
Les habiles, dans notre siècle, se sont décerné à eux-mêmes la qualification d'hommes
d'État; si bien que ce mot, homme d'État, a fini par être un peu un mot d'argot. Qu'on ne
l'oublie pas en effet, là où il n'y a qu'habileté, il y a nécessairement petitesse. Dire: les
habiles, cela revient à dire: les médiocres.
De même que dire: les hommes d'État, cela équivaut quelquefois à dire: les traîtres.
À en croire les habiles donc, les révolutions comme la Révolution de Juillet sont des
artères coupées; il faut une prompte ligature. Le droit, trop grandement proclamé, ébranle.
Aussi, une fois le droit affirmé, il faut raffermir l'État. La liberté assurée, il faut songer au
pouvoir.
Ici les sages ne se séparent pas encore des habiles, mais ils commencent à se défier. Le
pouvoir, soit. Mais, premièrement, qu'est-ce que le pouvoir? deuxièmement, d'où vient-il?
Les habiles semblent ne pas entendre l'objection murmurée, et ils continuent leur
manoeuvre.
Selon ces politiques, ingénieux à mettre aux fictions profitables un masque de nécessité,
le premier besoin d'un peuple après une révolution, quand ce peuple fait partie d'un
continent monarchique, c'est de se procurer une dynastie. De cette façon, disent-ils, il
peut avoir la paix après sa révolution, c'est-à-dire le temps de panser ses plaies et de
réparer sa maison. La dynastie cache l'échafaudage et couvre l'ambulance.
Or, il n'est pas toujours facile de se procurer une dynastie.
À la rigueur, le premier homme de génie ou même le premier homme de fortune venu
suffit pour faire un roi. Vous avez dans le premier cas Bonaparte et dans le second
Iturbide.
Mais la première famille venue ne suffit pas pour faire une dynastie. Il y a nécessairement
une certaine quantité d'ancienneté dans une race, et la ride des siècles ne s'improvise pas.
Si l'on se place au point de vue des «hommes d'État», sous toutes réserves, bien entendu,
après une révolution, quelles sont les qualités du roi qui en sort? Il peut être et il est utile
qu'il soit révolutionnaire, c'est-à-dire participant de sa personne à cette révolution, qu'il y
ait mis la main, qu'il s'y soit compromis ou illustré, qu'il en ait touché la hache ou manié
l'épée.
Quelles sont les qualités d'une dynastie? Elle doit être nationale, c'est-à-dire
révolutionnaire à distance, non par des actes commis, mais par les idées acceptées. Elle
doit se composer de passé et être historique, se composer d'avenir et être sympathique.
Tout ceci explique pourquoi les premières révolutions se contentent de trouver un homme,
Cromwell ou Napoléon; et pourquoi les deuxièmes veulent absolument trouver une
famille, la maison de
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.