Les misères de Londres | Page 5

Pierre Alexis de Ponson du Terrail
encore Mary.
Le major n'en entendit pas davantage: il poussa la servante dans le cab,
s'assit à côté d'elle et cria au cocher:
--A Hampsteadt!
--Heath mount, ajouta Mary l'Écossaise.
Le cocher avait un bon cheval dont le major accéléra encore la rapidité
en promettant au cocher un bon pourboire, et en moins de trois quarts
d'heure, le major arrivait au cottage.
Mistress Fanoche l'attendait dans son parloir.
Elle avait fait une toilette minutieuse, mis toutes ses bagues et tous ses
bracelets.
--Mon fils! où est mon fils? dit le major en entrant.
Mistress Fanoche était souriante.
--Je comprends l'impatience de Votre Honneur, dit-elle. Néanmoins, je
le supplie de m'écouter un moment. Le fils de Votre Honneur est bien
portant, il est à deux pas d'ici, et je conduirai Votre Honneur dans cinq
minutes, aussitôt que je lui aurai dit...

Le major s'assit et maîtrisa son impatience.
Mistress Fanoche reprit:
--J'ai fait élever l'enfant en Irlande par une robuste paysanne qu'il
appelle sa mère.
Quand j'ai reçu la première lettre de Votre Honneur, je me suis
empressée de les faire revenir tous deux.
--Mais pourquoi ne sont-ils pas ici? demanda le major.
--Que Votre Honneur daigne se mettre à la fenêtre.
--Bien, après?
--Voyez-vous le mur du jardin?
--Oui.
--Derrière, il y a l'habitation d'un vieux lord Irlandais, fabuleusement
riche et qui a pris votre enfant en amitié.
--Ah! fit le major.
--Lord Vilmot n'a ni enfants, ni parents, et il voudrait adopter votre fils.
Le major tressaillit.
--Je tenais à vous dire cela, fit mistress Fanoche, afin que vous ne
fussiez point trop étonné. Maintenant, si Votre Honneur veut me
suivre...
--Vous allez me montrer mon fils?
--Oui.
Et mistress Fanoche jeta un châle sur ses épaules, ouvrit la porte du
parloir et sir John Waterley la suivit.

Deux minutes après, elle entrait dans le jardin de cette villa où, la nuit
précédente, Shoking avait cru faire un rêve des Mille et une Nuits.
Ralph était dans le jardin.
--Le voilà, dit mistress Fanoche.
L'enfant leva un oeil étonné sur le major.
Le major, pâle d'émotion, s'élança vers l'enfant et le prit dans ses bras.
En ce moment, un domestique en livrée sortit de la maison, s'approcha
du major et lui dit:
--Lord Vilmot, mon maître, serait heureux de recevoir Votre Honneur.
Il souffre d'un accès de goutte et ne peut quitter sa chambre.
Le major serrait toujours dans ses bras celui qu'il croyait être son fils!

IV
Les rôles avaient été merveilleusement distribués sans doute et répétés
avec soin en présence de ce metteur en scène prodigieux qui s'appelait
l'homme gris, car il n'y eut personne dans la maison où pénétrait le
major Waterley qui ne s'acquittât correctement du sien.
Ralph, que le major embrassait toujours, lui disait naïvement:
--C'est donc vous qui êtes mon père?
Au seuil du vestibule, le major vit une femme qui fondait en larmes.
C'était l'Irlandaise.
L'Irlandaise joignit les mains en regardant le major et lui dit:
--Ah! monsieur, ne me séparez pas de ce cher enfant... je lui ai donné

mon lait... et je l'aime comme s'il était sorti de mes entrailles. Ne m'en
séparez pas... je vous servirai pour rien...
--Je vous le promets, dit le major ému.
Et il continua son chemin sur les pas du vieux domestique qui lui avait
dit que son maître, lord Vilmot, l'attendait avec impatience.
Lord Vilmot était dans ce même parloir où, la veille au soir, Shoking et
l'homme gris avaient soupé tête à tête.
Le major aperçut un vieillard emmitouflé dans une vaste robe de
chambre, couché sur une chaise longue et la tête enveloppée de
foulards.
Auprès de lui se tenait un homme vêtu de noir qui pouvait avoir
trente-sept ou trente-huit ans.
--Le docteur Gordon, mon médecin, dit lord Vilmot, en présentant cet
homme à sir John Waterley.
Le docteur et le major se saluèrent.
Le domestique sortit et ferma la porte.
Ralph vint s'asseoir sur le bord de la chaise longue et prit l'une des
mains de lord Vilmot en lui disant d'une voix caressante:
--Comment vas-tu aujourd'hui, mon grand ami?
--Monsieur, dit lord Vilmot au major, je n'ai aucun secret pour le
docteur Gordon que voilà, et vous permettrez, n'est-ce pas, que nous
causions devant lui.
Sir John ne devinait guère ce que lord Vilmot, qu'il voyait pour la
première fois, pouvait avoir à lui dire, mais il était si heureux d'avoir
auprès de lui cet enfant qu'il croyait son fils, qu'il était prêt à tout
écouter.

Il prit le siége que lui avança le docteur.
--Monsieur, dit alors lord Vilmot, ce jeune enfant que vous voyez là fait
ma joie, et je lui dois les meilleurs jours de ma vieillesse prématurée et
souffrante.
Il me vient voir chaque jour, et sa vue me rappelle un fils que j'ai perdu
et qui
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