et une
plume.
--Pourquoi donc cela? dit-il.
--Pour faire ton testament...
A ces mots, Shoking jeta un grand cri et laissa tomber sa fourchette:
--Ah! mon Dieu! fit-il, je commence à comprendre pourquoi vous me
disiez que Shoking était mort... Le vin que je viens de boire était
sûrement empoisonné!
III
Que se passa-t-il entre Shoking et l'homme gris, à partir de ce moment?
Qui mistress Fanoche, qui se présenta le lendemain matin, trouva-t-elle
dans la maison voisine de la sienne?
Voilà ce qu'il nous est impossible de dire pour le moment, et nous
allons nous transporter dans Piccadilly, à Saint-James hôtel, où étaient
descendus, la veille au soir, le major sir John Waterley et sa jeune
femme, arrivés par le dernier train.
Miss Emily Homboury, devenue madame Waterley, avait dû, pour
obéir à la loi anglaise qui régit les grandes familles, renoncer à sa part
de l'héritage paternel.
Il est vrai que son père avait mis quinze ou vingt mille livres en
bank-notes dans sa corbeille de mariage, mais c'est une mince fortune
pour un ménage anglais du grand monde.
Les nouveaux époux avaient donc pris, en arrivant à l'hôtel Saint-James,
un appartement des plus simples.
Il était à peine huit heures du matin et quelque chose qui ressemblait
aux premières clartés du jour commençait à filtrer au travers du
brouillard.
Sir John Waterley était cependant déjà levé et assis au chevet du lit de
sa femme.
Tous deux causaient.
--Oh! mon enfant, mon cher enfant! disait madame Waterley; vous êtes
bien sûr, John, que nous allons le retrouver?
--Oui, mon amie, répondit le major avec émotion.
--Vous ne vous figurez pas, mon cher trésor, reprenait la jeune femme,
quels funestes pressentiments m'assaillent nuit et jour.
--Pourquoi ces pressentiments, mon amie?
--Il y a onze ans que nous n'avons eu des nouvelles de notre enfant.
--Je vous assure qu'il est vivant.
--Et moi, dit miss Emily, qui cacha sa tête dans ses mains, je n'ose
croire à vos paroles.
--Vous êtes folle, ma chère. Je vous jure que nous le trouverons grand
et robuste.
--Avez-vous donc si grande confiance en cette femme qui s'en est
chargée?
Sir John tressaillit.
--Mais... sans doute... dit-il.
--Pauvre enfant, dit miss Emily, quel sera son avenir?
Il ne sera pas riche...
--Il sera soldat comme moi, dit le major.
--Ah! dit encore la jeune femme, pourquoi ne sommes-nous pas soumis
à des lois plus justes? Mon père avait des millions, et mon fils sera
pauvre...
Sir John baissa la tête et une larme silencieuse brilla dans ses yeux.
--Mon ange aimé, dit-il à sa jeune femme, j'ai fait demander un cab, et
je vais courir à Dudley-street. C'est là que demeurait cette femme
quand je suis parti, c'est là, je suis sûr, que je retrouverai notre fils.
--Mais, mon ami, dit miss Emily, pourquoi ne voulez-vous point que je
vous accompagne? pourquoi voulez-vous retarder ma joie, si toutefois
c'est une joie qui nous attend?
Et madame Waterley soupira et leva les yeux au ciel.
--Mon amie, répondit le major, je ne veux pas que vous
m'accompagniez d'abord, parce que le voyage vous a brisée.
--Oh je suis forte!
--Ensuite, parce que la joie fait mal aussi bien que la douleur, et que je
redoute pour vous les grandes émotions.
Restez, je vous en prie, je serai de retour avant une heure.
Et le major était sorti sur ces mots, s'était jeté dans un cab et avait dit au
cocher de le conduire à Dudley-street.
La distance de Piccadilly au quartier irlandais est courte, et le major
l'eût franchie en quelques minutes.
Le coeur lui battait quand sa main se posa sur le bouton de la porte.
Pourtant le major était un homme énergique; il avait fait dix campagnes
dans l'Inde comme l'attestait son visage bronzé, et il avait assisté à de
rudes batailles.
Mais, en ce moment, une émotion si violente l'agitait qu'il hésita à
entrer.
Comme si quelqu'un, à l'intérieur de la maison, eût deviné son angoisse,
la porte s'ouvrit avant que la sonnette eût tinté.
En même temps une femme parut sur le seuil et regarda curieusement
le major.
Ce n'était pas la vieille dame aux bésicles; c'était Mary l'Écossaise, que
mistress Fanoche avait envoyée à Londres, à l'issue de son entrevue
avec le mystérieux personnage de la maison voisine.
Mary regarda donc le major et lui dit:
--Que demande Votre Honneur?
--Mistress Fanoche, dit-il.
--C'est ici, et vous êtes sans doute le major Waterley?
--Oui.
--Madame est à son cottage d'Hampsteadt, et elle m'a envoyée ici pour
attendre Votre Honneur.
Sir John tremblait.
--Elle est à Hampstead avec le fils de Votre Honneur, ajouta Mary.
Le major jeta un cri et s'appuya au mur du vestibule, tant son émotion
fut forte.
--Le fils de Votre honneur est un grand et bel enfant, dit
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