un châle vert et rouge, un chapeau à
rubans violets, des souliers cirés à l'oeuf, avec des bas tricotés à
l'aiguille, un sac de velours au poignet gauche, un parapluie vert à la
main droite, et les doigts couverts de bagues ornées de pierres
grossières et multicolores.
Cet ensemble de mauvais goût anglais n'était que grotesque et prêtait à
rire tant qu'on n'envisageait pas attentivement cette créature.
Les yeux d'un bleu incolore avaient un froid rayonnement.
Les lèvres minces qui recouvraient de longues dents jaunes à moitié
déchaussées, avaient une expression de méchanceté doucereuse; le
visage empourpré et bouffi quelque chose de bestial qui rappelait la tête
de certains animaux carnassiers.
Elle s'approcha de l'Irlandaise, et celle-ci s'écarta sur le banc où elle
était assise, moins pour lui faire place que pour se soustraire à son
contact.
--Ma chère, lui dit cette femme, se servant d'une appellation commune
au peuple de Londres, aussi vrai que je m'appelle mistress Fanoche, que
je suis presque de qualité et que j'ai quelque droit au titre de dame;
aussi vrai que je tiens une maison d'éducation pour les enfants des deux
sexes, dans Dudley-street, auprès d'Oxford, à deux pas de Saint-Gilles;
aussi vrai que je suis catholique comme vous, vous avez le plus bel
enfant que j'aie jamais vu!
--Vous êtes catholique? s'écria l'Irlandaise.
--Oui, ma chère.
--Irlandaise, peut-être?...
Et la jeune femme, qui d'abord avait éprouvé un sentiment de répulsion,
obéit en ce moment à ce besoin impérieux qu'ont les exilés de retrouver
sur la terre étrangère quelque chose ou quelqu'un qui leur parle de leur
patrie.
--Je ne suis pas Irlandaise de naissance, répondit mistress Fanoche,
mais simplement d'origine. Mon grand-père était Irlandais. Nous
sommes restés catholiques, j'ai même beaucoup souffert, car feu master
Fanoche, mon époux, que Dieu lui pardonne! m'a rendue bien
malheureuse, à propos de ma religion.
Sur ces mots, mistress Fanoche passa ses mains couvertes de bagues
sur ses yeux, essuyant une larme absente.
--Et vous allez à Saint-Gilles? reprit-elle.
--Oui, madame.
--Chez des Irlandais?
--Oui, madame. Chez un nommé Patrick.
--Dans Lawrence-street?
--Précisément.
Tandis que l'Irlandaise parlait ainsi, elle n'avait point remarqué une
femme grande, sèche, non moins ridiculement accoutrée que mistress
Fanoche, qui s'était approchée peu à peu et avec qui la prétendue
maîtresse de pension avait échangé un furtif regard.
La grande femme sèche tira de sa poche un carnet et un crayon et tandis
que mistress Fanoche continuait à absorber l'attention de l'Irlandaise,
elle écrivit à la hâte les mots de Saint-Gilles, de Patrick et de
Lawrence-street.
--Oui, ma chère, répondit mistress Fanoche, vous avez là un enfant
charmant.
La mère rougit d'orgueil.
--Est-ce que vous ne le mettrez pas en pension?
Un sourire triste vint aux lèvres de l'Irlandaise.
--Je ne sais pas, dit-elle. Nous sommes pauvres aujourd'hui, peut-être le
serons-nous longtemps encore.
--Il est si gentil, poursuivit mistress Fanoche, que je le prendrais
volontiers pour rien, pour l'amour de Dieu et de notre chère Irlande,
ajouta-t-elle avec un enthousiasme hypocrite.
En ce moment, l'enfant rassasié sans doute du spectacle qu'il avait
contemplé pendant quelques minutes, se retourna et s'approcha de sa
mère.
Comme elle, il éprouva à la vue de mistress Fanoche un sentiment de
répulsion, mais plus vif encore, plus accentué.
Et il dit avec une sorte d'effroi:
--Mère, quelle est cette femme?
--Une lady qui va te donner un gâteau, mon mignon, répliqua mistress
Fanoche.
Et elle ouvrit un sac de velours vert et en retira une petite galette à
l'anis qu'elle tendit à l'enfant.
Peut-être celui-ci avait-il bien faim; mais il refusa avec une dignité
qu'on n'eût point soupçonnée chez un enfant de son âge.
--Merci! dit-il, je n'ai pas faim, madame.
Et, obéissant toujours à cette aversion instinctive, il se prit à regarder
les ponts, les églises, et à suivre, dans le brouillard qui s'épaississait, la
fumée noire du Penny-Boat qui se couchait en s'allongeant.
--Ma chère, dit encore mistress Fanoche, vous serez bien mal logée
dans Lawrence-street. Je connais ce Patrick dont vous parlez. C'est un
pauvre homme, cordonnier de son état et qui a bien du mal à vivre.
Peut-être n'a-t-il pas de pain chez lui.
--Il en achètera, dit l'Irlandaise, car j'ai encore un peu d'argent.
--Je vous l'ai dit, poursuivit mistress Fanoche, qui ne se décourageait
pas, je demeure dans Dudley-street; c'est à deux pas de Saint-Gilles.
Vous y pourrez aller demain aussi matin que vous voudrez. Venez chez
moi. Je vous donnerai à souper et un bon lit pour l'amour de notre chère
Irlande.
La jeune femme regarda de nouveau son enfant.
Elle l'avait regardé ainsi quand l'Écossais marchand de poisson lui avait
pareillement offert l'hospitalité.
Mais, cette fois, l'enfant se chargea de la réponse.
Il revint auprès de sa mère, se serra contre elle, comme un petit oiseau
se presse contre la sienne à l'approche de
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