Les misères de Londres | Page 5

Pierre Alexis de Ponson du Terrail
droit de
faire ce que j'ai fait.
Les policemen se regardaient, hésitant.
Enfin, l'un d'eux parut avoir trouvé la solution de cette question
épineuse et embarrassante.
Il dit à John:
--Vous prétendez être un agent supérieur de la police?
--Voyez ma plaque.
--Et vous, continua le policeman s'adressant à Shoking, vous dites être
un gentleman paisible que cet homme a voulu dévaliser.
--Je le jure, dit Shoking.
--D'où veniez-vous?
--De Charing cross.
--Ou alliez-vous?
--A Rotherithe où nous sommes.
--Alors, vous connaissez du monde, ici? dit encore le policeman, et il
ne vous sera pas difficile de vous mettre en présence de gens qui
affirmeront votre identité.

Mais Shoking avait sans doute de bonnes raisons pour ne pas dire ce
qu'il venait faire à Rotherithe et qui il allait visiter, car il répondit:
--Vous vous trompez, je ne connais personne à Rotherithe.
--Alors qu'y venez-vous faire?
--Me promener.
--En pleine nuit?
--Je suis un gentleman excentrique, dit froidement Shoking.
Mais cette raison, qui eût satisfait sans doute bon nombre d'Anglais, ne
satisfit point le policeman.
--Écoutez, dit-il, ce n'est pas à cette heure-ci qu'il se trouvera du monde
à Scotland Yard pour dire si vous avez raison ou si cet homme dit la
vérité. Les chefs de police sont couchés, et il faudra attendre demain
pour que tout s'éclaircisse.
--Nous attendrons demain, dit John.
--Aussi, reprit le policeman, ce n'est pas à Scotland Yard que nous
allons vous conduire.
--Et où cela? demanda John.
--Vous allez voir. Allons, suivez-nous!
Il fit signe à son compagnon de prendre John par le bras, et il passa en
même temps, le sien sous celui de Shoking.
--Mais où voulez-vous me conduire? demanda pareillement celui-ci.
--Vous le verrez.
Et les deux policemen firent redescendre Shoking et le rough vers le
ponton d'embarquement.

On entendit, en ce moment, siffler la machine d'un petit bateau à vapeur
qui remontait la Tamise.
--Voilà notre affaire, dit l'un des policemen. Et il secoua la corde de la
cloche du ponton. A ce bruit, le petit bateau à vapeur, qui aurait passé
sans doute devant le ponton sans s'arrêter, se mit à stopper et s'approcha
peu à peu.

IV
John, le rough, se serait laissé mener au bout du monde, pourvu qu'on
ne le séparât point de Shoking.
Il était bien certain qu'à un moment donné il lui serait facile de se faire
reconnaître, et que, par conséquent, il toucherait la prime qui lui avait
été promise pour la capture du prétendu lord Wilmot.
Le petit bateau à vapeur, qui passait au large juste au moment où l'un
des policemen avait sonné la cloche, s'était donc rapproché tout aussitôt
du ponton d'embarquement.
Alors Shoking commença à comprendre.
Le bateau n'était pas destiné à transporter des voyageurs, il servait de
chaloupe au bateau-prison.
Car il y a sur la Tamise, auprès de Temple Bar, un vieux navire démâté,
rasé comme un ponton, éternellement à l'ancre, et qui sert de violon à
tous les maraudeurs du fleuve.
Ce navire s'appelle le Royaliste.
Il est commandé par un vieil officier invalide, qui a sous ses ordres,
non des matelots, mais des guichetiers.
A l'intérieur, le Royaliste est aménagé comme une vraie prison.

Il a trois chaloupes qu'il met à l'eau chaque soir.
Ces chaloupes sont pourvues d'une petite machine à vapeur.
Mais la plupart du temps, elle ne fonctionne pas et est remplacée par
quatre matelots, qui manoeuvrent la chaloupe à l'aviron.
Pourquoi?
C'est que ces chaloupes font ce qu'on appelle des rondes de nuit.
La Tamise est immense de largeur, au-dessous du pont de Londres
surtout; et c'est un joli champ de déprédations.
Les docks sont gardés; chaque barque, chaque magasin ouvrant sur le
fleuve est surveillé; néanmoins les vols sont nombreux; le voleur d'eau,
comme on l'appelle, s'attaque à tout, depuis les vieux cordages
jusqu'aux planches pourries.
Véritable chiffonnier aquatique, le ravageur emporte tout ce qui lui
tombe sous la main.
Il est bon nageur; il plonge à merveille quand il est poursuivi; il se
glisse comme un poisson entre les coques de deux navires, ou leste
comme un gabier de misaine, il se réfugie dans la mâture de quelque
brick dont l'équipage est à terre.
C'est pour donner la chasse à ces malfaiteurs nocturnes, que l'amirauté
a créé le service de nuit, qui a son état-major sur le Royaliste.
Et c'était précisément une des trois chaloupes, la Louisiane, dont les
policemen avaient reconnu la machine à vapeur.
Au coup de cloche, les hommes qui la montaient avaient manoeuvré
vers le ponton.
--Avez-vous du monde à nous donner? demanda le chef.
--Oui, répondit le policeman.

--Qu'est-ce que c'est?
--Vous allez voir.
Le mécanicien renversa la vapeur et la chaloupe accosta le ponton.
En même temps, le chef de l'équipe sauta dessus et aborda les deux
policemen et leurs prisonniers.
--Bon! dit-il, je vois
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