Les misères de Londres | Page 4

Pierre Alexis de Ponson du Terrail
bien qu'il donne des
renseignements...
--Sur qui?
--Sur l'homme gris qu'on cherche et qu'on ne trouve pas...
--Mon ami, dit Shoking essayant de payer d'audace, c'est un vilain
métier que tu ferais-là.
--Un métier qui rapporte cent livres est toujours un bon métier.
--J'en connais un meilleur, dit Shoking.
--Lequel?
--Ce serait de venir chez moi demain, à Hampsteadt. Au lieu de cent
livres, tu en aurais deux cents.
--Il vaut mieux tenir que courir, demain n'est pas aujourd'hui, répondit
le rough.
Et il donna un croc en jambe à Shoking, qui jeta un cri et tomba.
--Maintenant, mon bonhomme, dit-il en se jetant sur lui, nous allons
bien voir si tu es ou non lord Wilmot.

En même temps il appuya deux doigts sur ses lèvres et fit entendre un
coup de sifflet.

III
Shoking essaya de se débattre, poussant des cris étouffés.
Mais le rough était robuste, et il le maintint sous son genou.
Puis, tirant un couteau de sa poche, il en appuya la pointe sur la gorge
de Shoking, lui disant:
--Tout lord que tu peux être, si tu cries, je te tue!
Au temps de sa grande misère et dans les plus mauvais jours de son
existence problématique, Shoking avait déjà la faiblesse de tenir à la
vie.
Qu'on juge donc si maintenant qu'il était dans l'aisance, jouait parfois le
rôle de lord, portait de beaux habits et avait toujours quelques guinées
dans sa poche, il se souciait de mourir.
Shoking était d'ailleurs de la famille des philosophes, et il savait que la
résistance à une force supérieure est non-seulement inutile, mais encore
ridicule, sinon dangereuse.
Il se tint donc pour averti et cessa de crier.
Alors le rough siffla une seconde fois.
Puis il dit en ricanant:
--Attendons un moment, les camarades vont venir.
A Londres, les voleurs ont coutume de s'avertir, à de certaines heures
périlleuses, par un coup de sifflet.
John savait cela.

Il n'avait à Rotherithe, où le hasard l'avait amené sur les pas de Shoking,
ni complices, ni gens qui lui dussent obéir, mais il avait fait ce calcul
fort simple que partout il y a des policemen, et que très-certainement, il
en verrait accourir que ces deux coups de sifflet auraient mis en éveil.
John ne se trompait pas.
Bientôt des pas précipités retentirent à l'extrémité opposée de la ruelle
et deux policemen accoururent au pas de course.
Ils virent Shoking à terre, et John se tenant sur lui.
A première vue, Shoking qui était bien vêtu, était un gentleman victime
d'un rough, car John était couvert de haillons.
Ils se jetèrent donc sur ce dernier, et le prirent à la gorge et lui
arrachèrent son couteau.
Shoking se crut sauvé.
John n'avait opposé aucune résistance.
Cependant, comme Shoking se relevait et remerciait déjà les policemen
comme ses libérateurs, John se mit à rire:
--Hé! pardon, camarades, dit-il, connaissez-vous cela?
En même temps, il tira de sa poche une petite plaque de cuivre garnie
d'une courroie et la passa à son bras gauche.
Les policemen, à la vue de cette plaque, tombèrent stupéfaits.
Cette plaque était l'insigne d'un brigadier de policemen, par conséquent
d'un chef.
Lorsque, à Scotland Yard, on avait interrogé John, il s'était fait fort de
retrouver le prétendu lord Wilmot et de l'arrêter; mais il avait demandé
pour cela qu'on lui donnât des pleins pouvoirs.

Alors on lui avait remis cette plaque, qu'il n'aurait qu'à exhiber pour
acquérir l'assistance d'un ou de plusieurs policemen, aussitôt qu'il en
aurait besoin.
Et ceux-ci, dès-lors, s'inclinèrent, tout en trouvant quelque peu étrange
d'avoir à obéir à un chef en guenilles.
--Eh! dit John en souriant, vous avez cru que je dévalisais Son
Honneur?
Et il montrait en souriant d'un air moqueur Shoking stupéfait.
--En effet, balbutièrent les deux policemen.
--Son Honneur que vous voyez là, dit John, est un homme
excessivement dangereux, que j'ai été chargé d'arrêter.
--Ne croyez pas un mot de cela! s'écria Shoking, cet homme est un
imposteur!
--Bah! dit John, c'est ce que nous verrons à Scotland Yard.
Et, s'adressant aux policemen:
--Allons, vous autres, dit-il, donnez-moi un coup de main.
--Que voulez-vous faire? demanda l'un des agents.
--Je veux que vous m'aidiez à reconduire monsieur.
--Où cela?
--A Scotland Yard.
Shoking se débattait comme un beau diable.
--Mes amis, disait-il aux policemen, ne croyez pas cet homme, qui est
un voleur et un misérable; cette plaque qu'il vous montre, il l'a volée.

--La preuve que je ne suis pas un voleur, dit John, c'est que vous
pouvez fouiller Son Honneur et vous verrez que je ne lui ai rien pris.
--Parce que tu n'as pas eu le temps, misérable, répondit Shoking.
Notre héros avait su trouver un accent d'autorité qui intimida quelque
peu les policemen.
--Allons à Scotland Yard, disait John, et vous verrez que j'ai le
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