pour ces princes
de se revoir! Ils mirent tous deux pied à terre pour s'embrasser; et, après
s'être donné mille marques de tendresse, ils remontèrent à cheval, et
entrèrent dans la ville aux acclamations d'une foule innombrable de
peuple. Le sultan conduisit le roi son frère jusqu'au palais qu'il lui avait
fait préparer: ce palais communiquait au sien par un même jardin; il
était d'autant plus magnifique, qu'il était consacré aux fêtes et aux
divertissements de la cour; et on en avait encore augmenté la
magnificence par de nouveaux ameublements.
Schahriar quitta d'abord le roi de Tartarie, pour lui donner le temps
d'entrer au bain et de changer d'habit; mais dès qu'il sut qu'il en était
sorti, il vint le retrouver. Ils s'assirent sur un sofa, et comme les
courtisans se tenaient éloignés par respect, ces deux princes
commencèrent à s'entretenir de tout ce que deux frères, encore plus unis
par l'amitié que par le sang, ont à se dire après une longue absence.
L'heure du souper étant venue, ils mangèrent ensemble; et après le
repas, ils reprirent leur entretien, qui dura jusqu'à ce que Schahriar,
s'apercevant que la nuit était fort avancée, se retira pour laisser reposer
son frère.
L'infortuné Schahzenan se coucha; mais si la présence du sultan son
frère avait été capable de suspendre pour quelque temps ses chagrins,
ils se réveillèrent alors avec violence; au lieu de goûter le repos dont il
avait besoin, il ne fit que rappeler dans sa mémoire les plus cruelles
réflexions; toutes les circonstances de l'infidélité de la reine se
présentaient si vivement à son imagination, qu'il en était hors de
lui-même. Enfin, ne pouvant dormir, il se leva; et se livrant tout entier à
des pensées si affligeantes, il parut sur son visage une impression de
tristesse que le sultan ne manqua pas de remarquer: «Qu'a donc le roi
de Tartarie? disait-il; qui peut causer ce chagrin que je lui vois?
Aurait-il sujet de se plaindre de la réception que je lui ai faite? Non: je
l'ai reçu comme un frère que j'aime, et je n'ai rien là-dessus à me
reprocher. Peut-être se voit-il à regret éloigné de ses états ou de la reine
sa femme. Ah! si c'est cela qui l'afflige, il faut que je lui fasse
incessamment les présents que je lui destine, afin qu'il puisse partir
quand il lui plaira, pour s'en retourner à Samarcande.» Effectivement,
dès le lendemain il lui envoya une partie de ces présents, qui étaient
composés de tout ce que les Indes produisent de plus rare, de plus riche
et de plus singulier. Il ne laissait pas néanmoins d'essayer de le divertir
tous les jours par de nouveaux plaisirs; mais les fêtes les plus agréables,
au lieu de le réjouir, ne faisaient qu'irriter ses chagrins.
Un jour Schahriar ayant ordonné une grande chasse à deux journées de
sa capitale, dans un pays où il y avait particulièrement beaucoup de
cerfs, Schahzenan le pria de le dispenser de l'accompagner, en lui
disant que l'état de sa santé ne lui permettait pas d'être de la partie. Le
sultan ne voulut pas le contraindre, le laissa en liberté et partit avec
toute sa cour pour aller prendre ce divertissement. Après son départ, le
roi de la Grande Tartarie, se voyant seul, s'enferma dans son
appartement. Il s'assit à une fenêtre qui avait vue sur le jardin. Ce beau
lieu et le ramage d'une infinité d'oiseaux qui y faisaient leur retraite, lui
auraient donné du plaisir, s'il eût été capable d'en ressentir; mais,
toujours déchiré par le souvenir funeste de l'action infâme de la reine, il
arrêtait moins souvent ses yeux sur le jardin, qu'il ne les levait au ciel
pour se plaindre de son malheureux sort.
Néanmoins, quelque occupé qu'il fût de ses ennuis, il ne laissa pas
d'apercevoir un objet qui attira toute son attention. Une porte secrète du
palais du sultan s'ouvrit tout à coup, et il en sortit vingt femmes, au
milieu desquelles marchait la sultane[3] d'un air qui la faisait aisément
distinguer. Cette princesse, croyant que le roi de la Grande Tartarie
était aussi à la chasse, s'avança avec fermeté jusque sous les fenêtres de
l'appartement de ce prince, qui, voulant par curiosité l'observer, se
plaça de manière qu'il pouvait tout voir sans être vu. Il remarqua que
les personnes qui accompagnaient la sultane, pour bannir toute
contrainte, se découvrirent le visage qu'elles avaient eu couvert
jusqu'alors, et quittèrent de longs habits qu'elles portaient par- dessus
d'autres plus courts. Mais il fut dans un extrême étonnement de voir
que dans cette compagnie, qui lui avait semblé toute composée de
femmes, il y avait dix noirs, qui prirent chacun leur maîtresse. La
sultane, de son côté, ne demeura pas longtemps sans amant; elle frappa
des mains en criant: Masoud! Masoud! et aussitôt un autre noir
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