descendit du haut d'un arbre, et courut à elle avec beaucoup
d'empressement.
La pudeur ne me permet pas de raconter tout ce qui se passa entre ces
femmes et ces noirs, et c'est un détail qu'il n'est pas besoin de faire; il
suffit de dire que Schahzenan en vit assez pour juger que son frère
n'était pas moins à plaindre que lui. Les plaisirs de cette troupe
amoureuse durèrent jusqu'à minuit. Ils se baignèrent tous ensemble
dans une grande pièce d'eau qui faisait un des plus beaux ornements du
jardin; après quoi, ayant repris leurs habits, ils rentrèrent par la porte
secrète dans le palais du sultan; et Masoud, qui était venu de dehors
par-dessus la muraille du jardin, s'en retourna par le même endroit.
Comme toutes ces choses s'étaient passées sous les yeux du roi de la
Grande Tartarie, elles lui donnèrent lieu de faire une infinité de
réflexions: «Que j'avais peu raison, disait-il, de croire que mon malheur
était si singulier! C'est sans doute l'inévitable destinée de tous les maris,
puisque le sultan mon frère, le souverain de tant d'états, le plus grand
prince du monde, n'a pu l'éviter. Cela étant, quelle faiblesse de me
laisser consumer de chagrin! C'en est fait: le souvenir d'un malheur si
commun ne troublera plus désormais le repos de ma vie.» En effet, dès
ce moment il cessa de s'affliger; et comme il n'avait pas voulu souper
qu'il n'eût vu toute la scène qui venait de se jouer sous ses fenêtres, il fit
servir alors, mangea de meilleur appétit qu'il n'avait fait depuis son
départ de Samarcande, et entendit même avec quelque plaisir un
concert agréable de voix et d'instruments dont on accompagna le repas.
Les jours suivants il fut de très-bonne humeur; et lorsqu'il sut que le
sultan était de retour, il alla au-devant de lui, et lui fit son compliment
d'un air enjoué. Schahriar d'abord ne prit pas garde à ce changement; il
ne songea qu'à se plaindre obligeamment de ce que ce prince avait
refusé de l'accompagner à la chasse; et sans lui donner le temps de
répondre à ses reproches, il lui parla du grand nombre de cerfs et
d'autres animaux qu'il avait pris, et enfin du plaisir qu'il avait eu.
Schahzenan, après l'avoir écouté avec attention, prit la parole à son tour.
Comme il n'avait plus de chagrin qui l'empêchât de faire paraître
combien il avait d'esprit, il dit mille choses agréables et plaisantes.
Le sultan, qui s'était attendu à le retrouver dans le même état où il
l'avait laissé, fut ravi de le voir si gai: «Mon frère, lui dit-il, je rends
grâces au ciel de l'heureux changement qu'il a produit en vous pendant
mon absence: j'en ai une véritable joie; mais j'ai une prière à vous faire,
et je vous conjure de m'accorder ce que je vais vous demander. - Que
pourrais-je vous refuser? répondit le roi de Tartarie. Vous pouvez tout
sur Schahzenan. Parlez; je suis dans l'impatience de savoir ce que vous
souhaitez de moi. - Depuis que vous êtes dans ma cour, reprit Schahriar,
je vous ai vu plongé dans une noire mélancolie, que j'ai vainement tenté
de dissiper par toutes sortes de divertissements. Je me suis imaginé que
votre chagrin venait de ce que vous étiez éloigné de vos états; j'ai cru
même que l'amour y avait beaucoup de part, et que la reine de
Samarcande, que vous avez dû choisir d'une beauté achevée, en était
peut-être la cause. Je ne sais si je me suis trompé dans ma conjecture;
mais je vous avoue que c'est particulièrement pour cette raison que je
n'ai pas voulu vous importuner là-dessus, de peur de vous déplaire.
Cependant, sans que j'y aie contribué en aucune manière, je vous trouve
à mon retour de la meilleure humeur du monde et l'esprit entièrement
dégagé de cette noire vapeur qui en troublait tout l'enjouement:
dites-moi, de grâce, pourquoi vous étiez si triste, et pourquoi vous ne
l'êtes plus.»
À ce discours, le roi de la Grande Tartarie demeura quelque temps
rêveur, comme s'il eût cherché ce qu'il avait à y répondre. Enfin il
repartit dans ces termes: «Vous êtes mon sultan et mon maître; mais
dispensez-moi, je vous supplie, de vous donner la satisfaction que vous
me demandez. - Non, mon frère, répliqua le sultan; il faut que vous me
l'accordiez: je la souhaite, ne me la refusez pas.» Schahzenan ne put
résister aux instances de Schahriar: «Hé bien! mon frère, lui dit-il, je
vais vous satisfaire, puisque vous me le commandez.» Alors il lui
raconta l'infidélité de la reine de Samarcande; et lorsqu'il en eut achevé
le récit: «Voilà, poursuivit-il, le sujet de ma tristesse; jugez si j'avais
tort de m'y abandonner. - Ô mon frère! s'écria le sultan d'un ton qui
marquait combien il entrait dans le ressentiment
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