avait naturellement
de l'inclination pour ce prince, fut charmé de sa complaisance; et par un
excès d'amitié, voulant partager avec lui ses états, il lui donna le
royaume de la Grande Tartarie. Schahzenan en alla bientôt prendre
possession, et il établit son séjour à Samarcande, qui en était la capitale.
Il y avait déjà dix ans que ces deux rois étaient séparés, lorsque
Schahriar, souhaitant passionnément de revoir son frère, résolut de lui
envoyer un ambassadeur pour l'inviter à venir à sa cour. Il choisit pour
cette ambassade son premier vizir[1], qui partit avec une suite
conforme à sa dignité, et fit toute la diligence possible. Quand il fut
près de Samarcande, Schahzenan, averti de son arrivée, alla au-devant
de lui avec les principaux seigneurs de sa cour, qui, pour faire plus
d'honneur au ministre du sultan, s'étaient tous habillés magnifiquement.
Le roi de Tartarie le reçut avec de grandes démonstrations de joie, et lui
demanda d'abord des nouvelles du sultan son frère. Le vizir satisfit sa
curiosité; après quoi il exposa le sujet de son ambassade. Schahzenan
en fut touché: «Sage vizir, dit-il, le sultan mon frère me fait trop
d'honneur, et il ne pouvait rien me proposer qui me fût plus agréable.
S'il souhaite de me voir, je suis pressé de la même envie: le temps, qui
n'a point diminué son amitié, n'a point affaibli la mienne. Mon royaume
est tranquille, et je ne veux que dix jours pour me mettre en état de
partir avec vous. Ainsi il n'est pas nécessaire que vous entriez dans la
ville pour si peu de temps. Je vous prie de vous arrêter dans cet endroit
et d'y faire dresser vos tentes. Je vais ordonner qu'on vous apporte des
rafraîchissements en abondance, pour vous et pour toutes les personnes
de votre suite.» Cela fut exécuté sur-le-champ: le roi fut à peine rentré
dans Samarcande, que le vizir vit arriver une prodigieuse quantité de
toutes sortes de provisions, accompagnées de régals et de présents d'un
très-grand prix.
Cependant Schahzenan, se disposant à partir, régla les affaires les plus
pressantes, établit un conseil pour gouverner son royaume pendant son
absence, et mit à la tête de ce conseil un ministre dont la sagesse lui
était connue et en qui il avait une entière confiance. Au bout de dix
jours, ses équipages étant prêts, il dit adieu à la reine sa femme, sortit
sur le soir de Samarcande, et, suivi des officiers qui devaient être du
voyage, il se rendit au pavillon royal qu'il avait fait dresser auprès des
tentes du vizir. Il s'entretint avec cet ambassadeur jusqu'à minuit. Alors,
voulant encore une fois embrasser la reine, qu'il aimait beaucoup, il
retourna seul dans son palais. Il alla droit à l'appartement de cette
princesse, qui, ne s'attendant pas à le revoir, avait reçu dans son lit un
des derniers officiers de sa maison. Il y avait déjà longtemps qu'ils
étaient couchés et ils dormaient d'un profond sommeil.
Le roi entra sans bruit, se faisant un plaisir de surprendre par son retour
une épouse dont il se croyait tendrement aimé. Mais quelle fut sa
surprise, lorsqu'à la clarté des flambeaux, qui ne s'éteignent jamais la
nuit dans les appartements des princes et des princesses, il aperçut un
homme dans ses bras! Il demeura immobile durant quelques moments,
ne sachant s'il devait croire ce qu'il voyait. Mais n'en pouvant douter:
«Quoi! dit-il en lui-même, je suis à peine hors de mon palais, je suis
encore sous les murs de Samarcande, et l'on m'ose outrager! Ah!
perfide, votre crime ne sera pas impuni! Comme roi, je dois punir les
forfaits qui se commettent dans mes états; comme époux offensé, il faut
que je vous immole à mon juste ressentiment.» Enfin ce malheureux
prince, cédant à son premier transport, tira son sabre, s'approcha du lit,
et d'un seul coup fit passer les coupables du sommeil à la mort. Ensuite,
les prenant l'un après l'autre, il les jeta par une fenêtre, dans le fossé
dont le palais était environné.
S'étant vengé de cette sorte, il sortit de la ville, comme il y était venu, et
se retira sous son pavillon. Il n'y fut pas plus tôt arrivé, que, sans parler
à personne de ce qu'il venait de faire, il ordonna de plier les tentes et de
partir. Tout fut bientôt prêt, et il n'était pas jour encore, qu'on se mit en
marche au son des timbales et de plusieurs autres instruments qui
inspiraient de la joie à tout le monde, hormis au roi. Ce prince, toujours
occupé de l'infidélité de la reine, était en proie à une affreuse
mélancolie, qui ne le quitta point pendant tout le voyage.
Lorsqu'il fut près de la capitale des Indes, il vit venir au- devant de lui
le sultan[2] Schahriar avec toute sa cour. Quelle joie
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