Les mille et un fantomes | Page 4

Alexandre Dumas, père
de terre. Les
carrières d'où sort cette pierre grandissent tous les jours. C'est la suite
des catacombes d'où est sorti le vieux Paris. Ce sont les faubourgs de la
ville souterraine, qui vont gagnant incessamment du pays et s'étendant
à la circonférence. Quand on marche dans cette prairie de Montrouge,
on marche sur des abîmes. De temps en temps on trouve un
enfoncement de terrain, une vallée en miniature, une ride du sol: c'est
une carrière mal soutenue en dessous, dont le plafond de gypse a craqué.
Il s'est établi une fissure par laquelle l'eau pénètre dans la caverne; l'eau
a entraîné la terre; de là le mouvement du terrain: cela s'appelle un
fondis.
Si l'on ne sait point cela, si on ignore que cette belle couche de terre
verte qui vous appelle ne repose sur rien, on peut, en posant le pied
au-dessus d'une de ces gerçures, disparaître, comme on disparaît au
Montanvert entre deux murs de glace.
La population qui habite ces galeries souterraines a comme son
existence, son caractère et sa physionomie à part.--Vivant dans
l'obscurité, elle a un peu les instincts des animaux de la nuit, c'est-à-dire
qu'elle est silencieuse et féroce. Souvent on entend parler d'un
accident,--un étai a manqué, une corde s'est rompue, un homme a été
écrasé.--A la surface de la terre on croit que c'est un malheur; trente
pieds au-dessous on sait que c'est un crime.
L'aspect des carriers est en général sinistre.--Le jour, leur oeil
clignote,--à l'air, leur voix est sourde.--Ils portent des cheveux plats,
rabattus jusqu'aux sourcils; une barbe qui ne fait que tous les
dimanches matin connaissance avec le rasoir;--un gilet qui laisse voir
des manches de grosse toile grise,--un tablier de cuir blanchi par le
contact de la pierre,--un pantalon de toile bleue.--Sur une de leurs
épaules est une veste pliée en deux, et sur cette veste pose le manche de
la pioche ou de la besaiguë qui, six jours de la semaine, creuse la pierre.
Quand il y a quelque émeute, il est rare que les hommes que nous
venons d'essayer de peindre ne s'en mêlent pas.--Quand on dit à la
barrière d'Enfer:--Voilà les carriers de Montrouge qui descendent, les

habitants des rues avoisinantes secouent la tête et ferment leurs portes.
[Illustration: Les yeux hors de leur orbite, les vêtements en désordre et
les mains ensanglantées, cet homme passa près de moi sans me voir.]
Voilà ce que je regardai, ce que je vis pendant cette heure de crépuscule
qui, au mois de septembre, sépare le jour de la nuit;--puis, la nuit venue,
je me rejetai dans la voiture, d'où certainement aucun de mes
compagnons n'avait vu ce que je venais de voir. Il en est ainsi en toutes
choses: beaucoup regardent, bien peu voient.
Nous arrivâmes vers les huit heures et demie à Fontenay; un excellent
souper nous attendait, puis après le souper une promenade au jardin.
Sorrente est une forêt d'orangers; Fontenay est un bouquet de roses.
Chaque maison a son rosier qui monte le long de la muraille, protégé au
pied par un étui de planches; arrivé à une certaine hauteur, le rosier
s'épanouit en gigantesque éventail; l'air qui passe est embaumé, et,
lorsqu'au lieu d'air il fait du vent, il pleut des feuilles de roses comme il
en pleuvait à la Fête-Dieu quand Dieu avait une fête.
De l'extrémité du jardin, nous eussions eu une vue immense s'il eût fait
jour.--Les lumières seules semées dans l'espace indiquaient les villages
de Sceaux, de Bagneux, de Châtillon et de Montrouge; au fond
s'étendait une grande ligne roussâtre d'où sortait un bruit sourd
semblable au souffle de Léviathan:--c'était la respiration de Paris.
On fut obligé de nous envoyer coucher de force, comme on fait aux
enfants. Sous ce beau ciel tout brodé d'étoiles, au contact de cette brise
parfumée, nous eussions volontiers attendu le jour.
A cinq heures du matin, nous nous mîmes en chasse, guidés par le fils
de notre hôte, qui nous avait promis monts et merveilles, et qui, il faut
le dire, continua à nous vanter la fécondité giboyeuse de son territoire
avec une persistance digne d'un meilleur sort.
A midi, nous avions vu un lapin et quatre perdrix.--Le lapin avait été
manqué par mon compagnon de droite, une perdrix avait été manquée

par mon compagnon de gauche, et, sur les trois autres perdrix, deux
avaient été tuées par moi.
A midi, à Brassoire, j'eusse déjà envoyé à la ferme trois ou quatre
lièvres et quinze ou vingt perdrix.
J'aime la chasse, mais je déteste la promenade, surtout la promenade à
travers champs. Aussi, sous prétexte d'aller explorer un champ de
luzerne situé à mon extrême gauche, et dans lequel j'étais bien sûr de ne
rien trouver, je rompis la ligne et fis un écart.
Mais ce qu'il y avait dans ce champ, ce que
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