heure dans ce lieu maudit?
Celui qui marchait semblait se hâter. Évidemment il connaissait
admirablement les localités; car, après avoir franchi le premier passage,
il se dirigea nettement vers la paroi de gauche des rochers. Là, il se
baissa et toucha la pierre de ses mains.
Sans doute ses doigts rencontrèrent ce qu'ils cherchaient, car il laissa
échapper une exclamation satisfaite; puis il commença à gravir
lentement le roc. Il s'était engagé sur une sorte de sentier à peine tracé
et qu'il eût été difficile de reconnaître, même à la lumière du jour.
Il montait, s'accrochant, pour aider son ascension, aux troncs chauves
des pins.
Au bout de cinq minutes, il s'arrêta.
Il se trouvait environ à une hauteur de dix mètres. Ses mains palpèrent
encore une fois la pierre avec précaution. Puis il se courba, et de ses
lèvres s'échappa un son singulier.
C'était une sorte d'ululation sourde et rauque à la fois, comme le
hurlement contenu d'une bête fauve.
Quelques instants s'écoulèrent, puis le même cri répondit.
Cette fois, il semblait partir des profondeurs de la terre.
Deux fois, ce cri--un signal, à n'en pas douter--fut échangé entre
l'arrivant et un personnage invisible.
Puis sur la crête du roc une ombre parut: elle descendit et s'approcha de
l'autre.
--Qui vive? demanda une voix.
--Loup, répondit-on.
--Est-ce toi, Biscarre?
--C'est moi.
Les deux hommes se réunirent, puis disparurent bientôt dans une
anfractuosité en forme d'entonnoir. Là, se soutenant à la force des
poignets, ils se laissèrent tomber dans une excavation en forme de
caveau, et dans laquelle brûlait un feu de broussailles, dont la fumée
était entraînée par un courant souterrain.
--Diouloufait, allume la lanterne, dit l'arrivant qui avait répondu au nom
de Biscarre.
L'autre obéit.
La physionomie de ces deux hommes, bien que différente, n'en portait
pas moins un même cachet effrayant.
Et sans même regarder leur visage, qui se fût trouvé subitement en face
d'eux n'eût pu réprimer un frisson.
Car tous deux portaient le costume des forçats.
Biscarre était grand, bien proportionné, et même, sous les ignobles
vêtements qui le couvraient, on devinait je ne sais quelle élégance
native; ses mains sèches et nerveuses n'appartenaient point à un paysan.
Il avait jeté à terre le bonnet vert qui cachait ses cheveux ras, de couleur
rousse, et, à la lueur du foyer qui crépitait, son masque s'accentuait,
avec ses traits fermes et anguleux, sa bouche aux lèvres épaisses et
sensuelles.
Le front était bas, les mâchoires proéminaient en avant: on eût dit la
tête d'un fauve, d'un loup. Les dents blanches et aiguës apparaissaient
dans un rictus ironique: les yeux, à pupilles jaunes et mobiles,
complétaient la ressemblance de l'homme et de l'animal.
Quant à Diouloufait, un seul mot peut suffire pour le dépeindre. C'était
un colosse. Tout en lui était énorme. Les traits boursouflés n'avaient
point pour ainsi dire de galbe propre: le nez épaté, les gros yeux, la
bouche lippue et largement fendue, les oreilles rouges et s'écartant du
crâne en conques disproportionnées, tout contribuait à donner, au
premier coup d'oeil, la sensation de la brutalité poussée à ses dernières
limites.
--Tonnerre! s'écria Diouloufait, je ne t'attendais plus.... Voilà trois
heures que tu devrais être ici....
A cette apostrophe, un éclair de colère passa dans les yeux de Biscarre.
Cependant, il se contint:
--Une fois pour toutes, souviens-toi, Diouloufait, que tu es fait pour
m'attendre et pour m'obéir...
--Je le sais bien, fit le géant; mais enfin... il y a des bornes...
--Non. Il n'y a d'autres bornes que celles que fixe ma volonté.
L'accent de Biscarre était empreint d'une autorité si cassante, que
jamais despote n'eût mieux rendu les nuances de l'absolutisme le plus
complet.
Et sans doute, le forçat avait le droit de parler ainsi, car après l'avoir
considéré un instant comme s'il avait senti en lui quelques velléités de
révolte, Diouloufait baissa les yeux et se tut.
--Je n'ai pu m'évader qu'à minuit, reprit Biscarre, condescendant
toutefois à donner cette explication. Nul ne s'est encore aperçu de ma
disparition, car le canon n'a pas encore retenti; donc la nuit est à moi.
--Oh! le canon, fit Diouloufait en riant bruyamment, ils l'ont bien tiré
pour moi; je n'en suis pas moins bien tranquille ici.
--A qui le dois-tu?
--Parbleu! cette bêtise! à toi. Oh! tu es un malin, ça ne se discute pas, et
les autres ont bien su ce qu'ils faisaient quand ils t'ont nommé chef des
Loups. Tu as tout pour toi: de l'éducation, une tenue d'un chic parfait, et
puis cette poigne....
En considérant les énormes biceps de Diouloufait, on ne pouvait que
s'étonner de ces derniers mots. Était-il possible que ce colosse pût
éprouver de l'admiration pour la force de Biscarre, dont l'apparence,
quoique assez vigoureuse, ne pouvait être comparée à la sienne?
Cependant, l'accent de Diouloufait ne prêtait à aucune
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.