Les loups de Paris | Page 5

Jules Lermina

--Enfin! fit Jacques en se redressant d'un bond.
--Mais comment sortir d'ici? fit Pierre.
--Ne peux-tu pas m'ouvrir les portes?
--Moi! un pauvre porte-clefs.... Mais à deux pas d'ici les sentinelles
s'empareraient de vous.... Comment passer au guichet d'entrée?
--Mon Dieu! tout est perdu! s'écria Jacques en se tordant les mains.
--Non! attendez! par ici....
Le cachot dans lequel Jacques était enfermé prenait air et lumière par le
soupirail donnant sur la rade. Un énorme barreau de fer, scellé dans le
ciment, fermait la meurtrière.
--Vous êtes bon nageur, fit Pierre. Je sais ça, puisque vous avez sauvé
mon père. Vous allez vous jeter dans la rade.... Le seul danger, c'est que
le bruit de votre chute soit entendu.... Mais je ne crois pas que ce
péril-là soit grand....
Jacques avait bondi vers le soupirail et secouait furieusement la barre
de fer.
--Laissez cela, dit Lamalou, qui, depuis qu'il avait pris sa résolution,
avait recouvré tout son calme.

Il écarta doucement Jacques.
Puis, de ses doigts croisés, il enserra la barre de fer, s'arc-bouta sur les
reins, les pieds rivés au sol; les veines de son front saillirent comme des
cordes... on entendit un han! et du ciment brisé sortit la barre de fer
tordue.
--Allez maintenant, dit Pierre.
Jacques se tourna vers lui.
--Pierre, ce que tu fais est grand et noble. Merci! Quand quatre heures
sonneront, je serai là, au bas de la tour.
--Pourquoi faire? dit Pierre en haussant les épaules. Vous êtes sauvé,
profitez-en tout à fait.
--Et toi?
--Oh! moi... ça ne compte pas.... Ce que j'en disais, c'était pour la
femme et les petits...
--Fuis avec moi...
--Oh! ça! ce n'est pas possible!... Je ne peux pas quitter Toulon,
voyez-vous! ni la femme non plus. Nous y avons vécu, nous y
mourrons.
--Si je ne revenais pas, tu serais perdu!
--Bah! fit Pierre avec un sourire triste, changement de logis, ils me
mettraient là-bas!
Là-bas, c'était le bagne.
Jacques frissonna.
Il saisit la main de Pierre:

--Tu m'as entendu, à quatre heures.
--Comment! vous voulez...
--Je veux tenir le serment que je t'ai fait.... Tu crois à ma parole?
--Mais ce serait une folie.
--Ce n'est jamais une folie que de faire son devoir.
--Bah! partez toujours. Vous verrez après!...
Et il se disait:
--Quand il aura senti le grand air, du diable s'il se soucie du vieux
Lamalou!
Ce sentiment se lisait si nettement sur son visage, que Jacques, emporté
par l'admiration, tant était simple ce désintéressement sublime, prit
l'homme par la tête et l'embrassa.
Puis il répéta:
--A quatre heures....
Pierre ne répondit plus; seulement il l'aida à passer par la meurtrière,
qui était étroite.
Un instant après, un bruit sec monta jusqu'au geôlier.
Jacques était à l'eau.
Lamalou écouta. L'éveil n'avait pas été donné.
--Allons! mon pauvre Lamalou, murmura le geôlier, te voilà bien!...
Et, sortant du cachot, il ferma carrément l'énorme serrure.

III
BISCARRE ET DIOULOUFAIT
Les gorges d'Ollioules constituent en réalité une des plus admirables
curiosités naturelles du midi de la France, si riche en merveilles.
Entre le petit bourg du Bausset et la ville d'Ollioules, le voyageur
rencontre tout à coup de gigantesques roches qui s'élèvent à pic à une
hauteur énorme. Plus de ceps chargés de raisins, plus d'oliviers, plus de
verdure. La pierre âpre, noirâtre, brune, se dresse comme une muraille
infranchissable. Les anfractuosités de la roche se déchiquètent en
dentelures bizarres, et quand le soleil couchant rougit le ciel, on dirait
une frange bordée d'or rutilant.
Par quel cataclysme cette masse colossale s'est-elle fendue dans toute
sa hauteur, comme sous le choc d'une hache géante? Dans quelle
convulsion géologique s'est opéré ce déchirement, qui ne laisse entre
les deux murailles lisses qu'un étroit défilé, dans lequel parfois trois
hommes ne pourraient passer de front?
A l'époque où se passe cette première partie de notre récit, il était rare
que quelque voyageur s'aventurât de ce côté. Aussi les gorges
d'Ollioules avaient-elles un renom sinistre. Plus d'un malfaiteur trouvait
un refuge dans les détours inexplorés de ce val d'enfer, comme on
l'appelait encore dans le pays.
Le lent travail de la nature avait creusé à travers les blocs des galeries
étroites, multiples, s'entre-croisant et dont les diverses issues étaient
souvent inconnues. La nuit, cette masse semblait cacher dans ses flancs
tout un monde fantastique.
Cette nuit-là surtout.
Deux heures s'étaient écoulées depuis le moment où Lamalou avait aidé
à l'évasion de Jacques.
Le défilé d'Ollioules, plongé dans les ténèbres profondes, était muet et

désert. Le vent sifflait, âpre et froid, et les saxifrages, secouant dans
l'ombre leurs broussailles dénudées, ressemblaient à des gnomes
bizarrement accroupis sur la roche.
Tout à coup (il était environ une heure du matin), un bruit sourd,
régulier, éveilla les échos des gorges.
C'était le pas d'un homme, pas vigoureux, accentué.
Qui donc pouvait s'aventurer à cette
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