yeux sur le billet qu'il pâlit
et jeta un cri.
--Mon Dieu! mon Dieu! mais c'est horrible, cela!
--Qu'y a-t-il, monsieur Jacques? Comment! est-ce que j'ai mal fait de
me charger de la commission?
Mais Jacques ne l'entendait plus. Il lisait, il dévorait les lignes
rapidement tracées.
Voici ce que contenait ce billet:
«Mon ami, mon frère, je suis mourante de douleur et d'angoisse; vous
êtes condamné! notre père a été impitoyable. Les larmes me suffoquent;
à peine si je puis guider ma main, et cependant il faut que je vous dise....
Mon Dieu! en un pareil moment! Jacques, celle que vous aimez, celle
qui s'est donnée à vous, Marie enfin.... Marie est mère! Les angoisses
de ces horribles jours ont avancé le terme.... Elle est accourue vers moi,
terrifiée, affolée... je l'ai cachée dans une cabane des gorges
d'Ollioules... et hier elle a mis au monde un garçon.... Que faire?...
Doit-elle avouer les liens qui l'unissent à vous?... elle le veut, et je crois
que nulle force humaine ne pourra la retenir... et cependant c'est sa
perte.... Notre père la chassera, la maudira... sa vengeance s'étendra sur
le petit être innocent qui, hélas! sourit dans son berceau.... Jacques, à
cette heure suprême, vous êtes le seul maître de la destinée de ma
pauvre soeur.... Dictez-lui votre volonté. Oh! à vous, à vous seul elle
obéira... exigez qu'elle cache la naissance de cet enfant... exigez qu'elle
se sauve... dites-nous à qui nous devons confier notre cher trésor.... Oh!
comme nous l'aimerons! Pauvre petit orphelin, du moins tu auras deux
mères.... Je pleure... je ne puis plus écrire.... Tout ce que la plume ne
peut expliquer vous le devinerez, vous le comprendrez!... Jacques, un
mot, quelques lignes... arrachez Marie au désespoir... sauvez-la! Je ne
veux pas qu'elle se perde, je ne veux pas qu'elle meure.... Écrivez, de
grâce, écrivez...»
La lettre était brusquement interrompue. Sans doute un incident avait
empêché qu'elle fût continuée.
Mais Jacques en savait assez.
Hagard, les yeux grands ouverts comme ceux d'un fou, il froissait
machinalement entre ses doigts cette lettre dont chaque mot lui torturait
le coeur.
Lamalou n'osait plus parler. Il devinait quelque épouvantable désespoir,
auquel il lui était impossible de porter remède. De grosses larmes
montaient à ses yeux et sa gorge était serrée comme dans un étau.
Tout à coup Jacques se redressa.
Ses deux mains se posèrent sur les épaules du geôlier. Il plongea dans
ses yeux son regard franc et clair, qui étincelait:
--Ami! lui dit-il, au nom de mon père, au nom de tous ceux que tu
aimes, il faut que je sorte d'ici....
Lamalou recula, stupéfait. Non, en vérité, il n'avait pas entendu cela. La
bouche béante, il regardait Jacques. Évidemment il n'avait pas compris.
--Pierre, reprit Jacques de sa voix mâle et vibrante, je te supplie de
m'entendre. Vois-tu! la mort n'est rien... mais, cette nuit, il me faut ma
liberté!
L'homme put enfin articuler quelques mots.
--Ah! monsieur de Costebelle, vous savez bien que c'est impossible...
c'est de la folie.... La liberté! Ah! vous n'y songez pas... ne me
demandez pas cela!
--Pierre, continua Jacques, combien faut-il de temps pour aller aux
gorges d'Ollioules?
--Pour un bon marcheur, une heure et demie.
--Autant pour le retour, trois heures. Il n'est pas encore onze heures....
Laisse-moi sortir d'ici, et avant quatre heures je serai de retour, et ils
me trouveront là pour me tuer...
--Tenez, monsieur Jacques, je ne puis vous comprendre. Ce que vous
demandez est tellement insensé!... Comme si cela se pouvait!... Voyons!
calmez vous! revenez à la raison...
--Pierre, je veux ma liberté...
--Demandez-moi ma vie... je vous la donnerai... mais autre chose... c'est
impossible...
--Pierre, il y a six ans de cela, un jour, un homme avait glissé de la
falaise dans la mer... le flot hurlait, la tempête rugissait... l'homme était
perdu... tenter de le sauver était une folie... cet homme était un
vieillard... Pierre, c'était ton père!... Je me suis précipité à travers les
vagues et j'ai sauvé ton père!... Pierre, l'as-tu donc oublié?...
--Non! non! faisait le geôlier, qui frémissait.
--Pierre, c'est ma mère qui a attaché au front de ta femme le bouquet
des mariées...
--C'est vrai!... c'est vrai!...
--Pierre, tu m'as bercé dans tes bras... comme dans mes bras j'ai bercé
ton premier enfant...
--Oui.
--Eh bien! au nom de tous ces souvenirs, au nom de ton père, de ton
petit enfant qui me souriait et m'embrassait, donne-moi ces trois heures
de liberté!
Lamalou chancelait. Des gouttes de sueur perlaient sur son front. Il
s'appuyait au mur pour ne pas tomber.
--Pierre, vois... je me mets à genoux devant toi... je te supplie... à mains
jointes.... Pierre!
Et Jacques, de ses deux bras, embrassait les genoux du geôlier.
Tout à coup l'homme s'écria:
--C'est ma vie que vous voulez, eh bien! prenez-la!
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