rapprochâmes du mur. L'un de nous, à tour de rôle,
tenait une allumette enflammée, et, pendant les quelques minutes de
clarté que nous donnait la cire jusqu'à sa complète combustion, l'autre
s'efforçait, à l'aide d'une forte lame de canif, de disjoindre les pierres. Je
craignais d'abord d'user trop rapidement les allumettes; mais sir Lionel,
qui ne perdait pas un seul instant son sang-froid, me rappela
très-justement qu'en tout état de choses, elles nous seraient inutiles à
l'avenir.
»Tout à coup Lionel poussa une exclamation de joie, bientôt coupée par
un cri de surprise et d'effroi. Au même moment, je me sentis frapper en
plein visage par une colonne d'eau, lancée avec force. Je chancelai,
mais, me raidissant, je parvins à me tenir debout.
»--Eh bien? demandai-je à Lionel.
»--Voilà la crise, fit-il. L'eau entre. Mais jusqu'ici l'ouverture est trop
étroite pour nous. Voici que l'eau emplit la cave: je la sens qui touche
déjà mes chevilles, et bientôt elle sera aux genoux; si elle atteint les
épaules et la tête avant que nous puissions nous jeter dans le chenal,
l'affaire est entendue.
»Je me tenais auprès de lui: ses mains crispées s'accrochaient aux
pierres et s'efforçaient de les attirer en avant. Mais par un hasard fatal,
l'assise inférieure était formée de pierres lourdes et qu'il semblait
impossible d'ébranler....
»L'eau tombait toujours avec un mugissement sourd: la nappe montait
en tourbillonnant et nous enserrait à la ceinture. Le remons était si fort
que nous avions peine à conserver notre équilibre.
»--Encore deux minutes et tout sera fini, dit Lionel. Je crois qu'il faut
prendre son parti. En somme, ce n'est pas une mort plus désagréable
qu'une autre.
»A peine avait-il prononcé ces paroles, que, levant la tête, je poussai un
cri à mon tour. A travers les fentes de la trappe qui s'était ouverte sous
nos pieds, j'apercevais une lueur rouge, intense, sanglante.--Le feu!
m'écriai-je.--Où cela?--Dans la maison du bandit... au-dessus de notre
tête....
»--Bon! fit Lionel en riant, c'est la méthode contraria contrariis;
seulement, comme si nous avions tous les allopathes du monde à nos
trousses, nous sommes bien morts.
»Au même instant, il se fit auprès de nous un écroulement. Où?
Comment? Par quel miracle? Je ne puis rien dire. Je me sentis saisi par
le flot, entraîné dans une sorte de gouffre où mon corps jouait comme
une épave... la nuit... un épouvantable fracas... mes membres se
heurtaient à des corps durs qui me faisaient mal... Je comprends
maintenant: la muraille s'était abîmée sous les efforts de Lionel. Par
quel étrange bonheur avons-nous été entraînés vers la rivière? je ne le
sais... je perdis connaissance... C'est alors que vous nous avez repêchés,
Lionel et moi... J'en ai été quitte pour une fluxion de poitrine. Quant à
mon cher et pauvre ami, je suis désespéré de ce que vous m'avez appris.
C'est lui qui nous a sauvés!... C'est à vous de le sauver maintenant!...»
Archibald avait mis dans son récit une animation qui l'avait épuisé. Des
gouttelettes de sueur perlaient sur son front.
--Écoutez-moi, mon ami, reprit Armand. Votre guérison est certaine, et
avant une semaine vous serez prêt à recommencer la lutte. Il ne faut pas
nous le dissimuler, elle sera terrible. Le misérable Biscarre n'a disparu
que pour mieux pouvoir dresser ses batteries. Attendons-nous à quelque
coup de tonnerre éclatant tout à coup. Lionel nous manque; mais nous
avons une nouvelle recrue, sur laquelle je compte beaucoup.
--De qui voulez-vous parler?
--De ce jeune homme que les frères Martin ont sauvé du suicide, de
Martial. C'est une âme dévouée et un coeur énergique. Et je crois
d'autant plus en lui que j'ai acquis une conviction... Martial est le fils
d'un homme que j'ai trouvé assassiné au Cambodge, dans un de mes
derniers voyages. Et je suis persuadé--ceci peut vous paraître
étrange--qu'à ce meurtre n'est pas étranger certain personnage que nous
connaissons et qui joue à Paris un rôle mystérieux....
--Quel est ce personnage?
--M. de Belen.
--Ah! cette sorte de métis portugais... serait un assassin!
--Les preuves me manquent... un seul homme peut me les donner.
--Et cet homme....
--C'est Soëra, c'est l'être bizarre que j'ai recueilli le jour même où le
père de Martial avait été assassiné.
--Mais quel rapport avec M. de Belen?
--Il y a quelques jours, lors du bal donné par le duc, Soëra, qui était
venu me chercher pour me rendre au club, a entendu la voix de Belen et
n'a pu réprimer son agitation.
--Vous l'avez interrogé?
--Certes; mais cet homme appartient à une race bizarre, soumise à des
rites inconnus; depuis le soir où cette révélation soudaine a éclaté--du
moins à ce que je suppose--Soëra s'est renfermé dans un mutisme
absolu; il passe les journées et les nuits prosterné dans l'attitude de la
prière, immobile comme un fakir indien... Et force m'est
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