d'attendre que
l'heure ait sonné où le dieu qu'il invoque lui aura permis de parler....
--N'avez-vous pas mis Martial en face de Soëra?
--Je vous comprends. Vous vous souvenez qu'à la vue de Martial, j'ai
été frappé d'une ressemblance que je n'ai pu m'expliquer. En effet, ce
jeune homme est le portrait vivant de son père, de ce vieillard que j'ai
trouvé horriblement mutilé, expirant dans d'épouvantables tortures. Oui,
le jour viendra où, si mes prévisions se réalisent, Soëra dira au fils toute
la vérité; mais il règne dans cette aventure de profondes obscurités, que
je cherche à percer. Par bonheur, mes études sur les langues asiatiques
me fournissent quelques lueurs qui servent à me guider. Quoi qu'il en
soit, je sens que le Club des Morts aura à punir en M. de Belen--et
peut-être en un autre, que je ne vous nommerai pas encore--deux
criminels... Ce jour-là, Archibald, si j'ai besoin de vous....
--Comme toujours, vous me trouverez prêt....
--Donc, prudence! attendez l'apparition de Biscarre... ne perdons pas de
vue Belen, et notre oeuvre s'accomplira....
Un instant après, Armand, reconduit par Muflier, qui se confondait en
salutations, sortait de l'hôtel d'Archibald.
II
SITUATION
La disparition de Mancal, outre l'émotion qu'elle avait causée dans le
monde des capitalistes, plus ou moins compromis dans le sinistre,
n'avait pas laissé que d'inquiéter certains de nos personnages, ou tout au
moins de leur causer une impression profonde.
Seuls, Silvereal et la duchesse de Torrès le connaissaient sous son
incarnation de Blasias; et de ce côté, les nouvelles colportées par les
journaux avaient été un véritable soulagement.
En effet, ni l'un ni l'autre ne doutait que Mancal-Blasias ne fût mort.
Silvereal voyait disparaître un complice qui, un jour ou l'autre, pouvait
devenir compromettant ou dangereux; mais ce complice lui avait laissé
un conseil dont il entendait bien faire usage à l'occasion. Les dernières
paroles du vieux Blasias étaient restées gravées dans sa mémoire, et la
dernière scène qui s'était passée dans la chambre de Mathilde n'avait
fait que rendre plus violent en lui le désir de vengeance et de liberté.
Se venger? Pourquoi songeait-il donc à se venger de Mathilde, et quel
crime cette femme avait-elle commis?
Lorsque M. de Mauvillers avait contraint sa fille d'épouser le baron de
Silvereal, ce dernier avait eu conscience, sinon de l'aversion, tout au
moins de l'indifférence qu'il inspirait à celle qui devenait, par la volonté
paternelle, la compagne de sa vie. Il savait en outre que Mathilde, pour
obéir aux ordres de celui qui regardait ses enfants comme l'instrument
de sa fortune, sacrifiait un amour honnête et profond.
Donc il l'avait haïe, dès que les premières heures de la passion brutale
avaient été passées. Cette résignation dissimulée lui semblait une
insulte. Et cependant, pendant les premières années de cette triste union,
pas un mot, pas un geste de la baronne n'avait dévoilé nettement l'état
de son âme.
Mathilde subissait son mari, mais alors qu'elle lui souriait, il se sentait
indigne de cette affection et imputait à crime à Mathilde sa propre
impuissance à se faire aimer.
Maintenant, il avait trouvé prétexte à sa haine, et il n'attendait plus
qu'une occasion de punir ce qu'il osait appeler la faute de Mathilde, et
(c'est là une des plus bizarres étrangetés des caractères criminels) tout
en étant absolument convaincu de son innocence.
Restait à trouver le moyen de parvenir à son but. Blasias était mort, et
Silvereal se trouvait réduit aux seules suggestions de sa propre
intelligence. Mais la haine est clairvoyante, et déjà il apercevait dans un
vague lointain le moyen qu'il emploierait pour attirer Mathilde et
Armand dans un piége. Qu'il parvînt à les réunir accidentellement, et
alors la loi ne donnait-elle pas au mari outragé le droit de faire
justice?...
Voilà nettement expliquée la situation du baron.
Celle de la Torrès était plus complexe.
Malgré le dédain qu'elle avait affiché jusque-là pour les conseils de
Mancal, malgré la maligne satisfaction qu'elle avait éprouvée à le
railler, alors qu'elle lui laissait croire qu'il avait été victime lui-même de
l'empoisonnement dont il lui avait remis les éléments, le Ténia n'avait
pu, sans frissonner, constater l'étrange puissance dont disposait cet
homme, alors que Silvereal, succombant à l'ivresse, avouait un crime
horrible.
Certes, elle n'avait pu comprendre exactement à quelles circonstances
se rattachait ce meurtre, compliqué de tortures: la scène s'était passée
dans un pays qui lui était inconnu; les noms de Cambodge, de roi des
Khmers étaient pour elle lettre morte.
Mais ce qui l'avait frappée, terrifiée, c'est que, par ambition, pour obéir
à des sentiments d'orgueil, elle avait failli s'unir à cet homme dont les
mains étaient teintes de sang. Et cependant était-elle innocente
elle-même? N'avait-elle pas empoisonné son premier mari?... L'âme
humaine est ainsi faite que, forte devant ses propres infamies, elle se
sent révoltée par les crimes d'autrui. D'ailleurs,
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