Les loups de Paris | Page 7

Jules Lermina
de fatigue. Je ne vous adresserai
plus qu'une question... mais c'est par nécessité. Je désire savoir
comment vous vous êtes échappés de la prison où vous retenait
Biscarre... Peut-être ces détails me mettront-ils sur la voie du traitement
qui peut sauver sir Lionel....
--Le récit n'est pas long, fit Archibald en souriant tristement.
Niaisement nous avions été battus par ce bandit... Une trappe s'était
ouverte sous nos pas et nous étions tombés d'une hauteur de plusieurs
mètres dans une sorte de caveau où l'obscurité était profonde. Cette
chute subite nous avait étourdis, mais cependant nous ne tardâmes pas à

revenir à nous. Les ténèbres ne nous permettaient pas d'examiner le lieu
où nous nous trouvions; nous nous serrions les mains, et, parlant à voix
basse, nous échangions nos premières impressions. En vérité, nous
nous croyions perdus. Pour moi, je ne croyais pas qu'il nous fût
possible de sortir de ce tombeau; mais sir Lionel fit preuve le premier
d'une énergie qui me rassura.
«De deux choses l'une, dit-il, ou cet in pace est sans issue, et nous
sommes condamnés à périr de faim, ou le misérable Biscarre va nous
achever tout à l'heure, avec quelques-uns de ses complices. Donc, la
position paraît de toute façon désespérée. Cependant nous sommes
vivants, nous avons toute notre vigueur, et nous ne devons attendre ni
l'épuisement ni le massacre. Cherchons et étudions l'endroit où nous
nous trouvons.
»--Sans lumière?...
»--Allons donc! ne suis-je pas un fumeur?
»Un instant après, une allumette éclatait, et nous pouvions regarder
autour de nous. C'était une cave à voussure de maçonnerie. Au premier
coup d'oeil, il semblait qu'elle n'eût d'autre issue que la trappe par
laquelle nous y avions été précipités.
»La lueur s'éteignit, et nous fûmes de nouveau plongés dans l'obscurité.
Nous ne parlions plus: nous réfléchissions; et je dois avouer que pour
ma part, je ne doutais pas que notre mort fût certaine. Tout à coup sir
Lionel posa sa main sur mon bras.--Écoutez, fit-il.--Je tendis l'oreille et
je perçus un bruit faible, quelque chose comme un frottement lent et
régulier, un va-et-vient dont il m'était impossible de discerner la nature.
»--Qu'est-ce que cela? demandai-je.--C'est le remous de l'eau, dit
simplement Lionel.--De l'eau?
--Lionel avait enflammé une seconde allumette, et rapidement il fit le
tour du caveau, qui mesurait environ cinq à six mètres carrés.
»--Je ne me trompe pas, dit-il. Approchez-vous. Voyez cette portion de

la muraille, elle suinte, et en y portant la main on sent une humidité
glaciale.--Quelle conclusion en tirez-vous?--Que cette cave dépend de
quelque ancien égout muré depuis longtemps; la voûte existe de l'autre
côté de cette muraille, et le flot de la Seine s'y engouffre. C'est là le
bruit que vous entendez.
»--Alors, nous risquons d'être noyés, si par hasard la muraille cède...
Ceci est pour nous une nouvelle chance de mort.--Ou de salut!...--Je ne
vous comprends pas.--Mon cher Archibald, reprit Lionel, dont la voix
était aussi calme que s'il eût causé dans un salon, celui qui s'abandonne
n'est pas digne de son titre d'homme. Dans le péril où nous nous
trouvons, tenter l'impossible, risquer une folie devient un devoir, et il
n'est pas de plan si insensé qu'il ne soit bon et juste de s'y arrêter. Mort
pour mort, je préfère périr en luttant. Je ne suis pas de la race des
agneaux qui tendent le cou, ni des condamnés qui sourient sur
l'échafaud pour faire croire à leur courage. Sous le couteau, je lutterais
encore, je lutterais toujours... Cela dit, ce que je vais vous proposer
vous paraîtra sans doute ridicule... raison de plus pour l'adopter....
»--Parlez! m'écriai-je, votre confiance me gagne, et soyez certain que
vous n'aurez pas à rougir de moi....
--Écoutez-moi donc. Tout en parlant, comme il convient de ne pas
perdre de temps, j'ai étudié la nature de cette muraille; elle est faite de
moellons, joints par un ciment que l'humidité a fortement attaqué, et je
suis certain qu'au moindre effort nous parviendrons à disjoindre les
pierres....
»--Mais l'eau se précipitera ici: nous périrons asphyxiés...--C'est
vraisemblable, et pourtant ce n'est pas absolument certain. Voici
comme: la voûte est haute, nous attaquerons la muraille à son sommet.
Dès que nous serons parvenus à faire une ouverture, l'eau pénétrera
dans le caveau, et en même temps sa force nous aidera singulièrement à
agrandir l'issue. Tout le plan est celui-ci: que l'ouverture soit assez
grande pour nous laisser passer avant que l'eau ait complétement rempli
le caveau. Le flot nous saisira et nous entraînera au dehors, et si nous
ne sommes pas brisés, broyés, cent fois tués, noyés et asphyxiés, nous
reverrons nos amis... sinon advienne que pourra....

»Son accent était empreint d'une telle philosophie que, bien que je ne
comprisse pas très-clairement sur quelles chances il pouvait réellement
compter, je lui répondis que j'étais prêt à tout.
»Aussitôt nous nous
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