Sir Lionel est fou!
Armand baissa la tête en signe d'affirmation.
Archibald pla?a ses deux mains sur son visage. Il y eut un long et pénible silence. Puis de grosses larmes roulèrent entre ses doigts.
--Mieux valait la mort, dit-il enfin. Pauvre Lionel!
--Vous comprenez maintenant pourquoi jusqu'ici j'avais refusé de vous répondre: je voulais que vous fussiez assez fort pour entendre cette révélation, car je savais bien que cette question serait la première que vous m'adresseriez.
--Mais vous, vous dont la science est supérieure à celle des autres hommes, désespérez-vous donc de lui?
--La folie de Lionel est de celles qui semblent défier la science. Elle se caractérise par un calme profond, une impassibilité terrible que rien ne peut briser. Sir Lionel semble un cadavre qui vit et qui marche. En face de cette absence de tout effet extérieur, la lutte contre le mal est plus difficile, presque impossible....
--Vous tenterez tous les moyens, n'est-ce pas?
--Certes, vous n'en doutez pas. Mais il faut avant tout laisser agir le temps. Une crise peut se déclarer, et c'est alors seulement que je pourrai utilement tenter la guérison de notre cher ami Lionel.
--J'ai foi en vous, dit Archibald. Vous le sauverez....
Armand secoua la tête. Il doutait de lui-même. Archibald passa sa main sur son front, puis il reprit:
--Qu'est devenu le misérable que nous poursuivions?
Armand raconta succinctement à Archibald ce qui s'était passé.
Aussit?t qu'il avait vu enlever son frère, Droite avait couru chez Armand. Celui-ci connaissait l'expédition tentée par Archibald et Lionel au quai de Gèvres. Il ne douta pas que ce ne f?t dans ce repaire que Gauche avait été entra?né. Il avait couru à la maison sinistre et n'avait pas tardé à découvrir l'issue par laquelle il était possible d'y pénétrer par derrière. On sait le reste.
--Maintenant, ajouta Armand, qu'est devenu Biscarre? Je ne saurais le dire. Voici les renseignements qui ont été publiés le lendemain dans un des journaux qui se sont occupés de cette affaire....
--Lisez, dit Archibald.
--Nos renseignements spéciaux, dit encore Armand, tandis qu'il tirait de sa poche un journal dont la date remontait déjà à plusieurs jours, ne nous ont rien appris de plus. Voici la note la plus complète que j'aie encore lue:
?Depuis longtemps déjà, la police était sur la trace d'une association occulte et criminelle dont les affiliés portaient le sobriquet de Loups de Paris. On soup?onnait d'en faire partie un recéleur du quai de Gèvres, connu sous le nom du vieux Blasias. Des mesures avaient été prises pour s'emparer de lui et on espérait d'un seul coup de filet se saisir des principaux affiliés de la bande.
?Mais, sans doute, M. le préfet, trop préoccupé de protéger le tr?ne et les bases de l'ordre social (inutile de dire que le journal où se trouvaient ces lignes appartenait à l'opposition), a cru devoir trop longtemps surseoir à l'expédition projetée.
?La nuit dernière, un incendie a dévoré la masure qui servait de refuge au vieux Blasias, qui, selon toute apparence, était le chef de l'association. Ce misérable est parvenu à s'enfuir, mais d'après toutes les probabilités, il a trouvé la mort dans la Seine, qu'il avait tenté--on ne sait pourquoi--de traverser à la nage. Ce qui donne à cette hypothèse une certaine vraisemblance, c'est que des mariniers ont retiré de l'eau des vêtements qui ont été reconnus pour lui appartenir et dont sans doute il s'était débarrassé afin de garder la liberté de ses mouvements. Jusqu'ici le cadavre n'a pas été retrouvé.
?On croit que ce Blasias n'était autre qu'un nommé Biscarre, ancien for?at évadé. Nous espérons que la police, faisant trêve à ses soucis politiques, mettra tout en oeuvre pour s'emparer de ses complices. Est-ce donc être trop exigeant??
--Rien de plus? demanda Archibald.
--Voyez vous-même.
Et Armand lui tendit le journal. Archibald parcourut de nouveau l'article indiqué comme pour y découvrir quelques détails qui lui eussent échappé à première audition.
Tout à coup il poussa un cri de surprise.
--Qu'avez-vous donc? demanda Armand.
--N'avez-vous pas lu l'entrefilet qui se trouve un peu plus bas?
--Qu'est-ce donc?
--Voyez vous-même.
Ce second article était ainsi con?u:
?Encore un désastre financier! L'exemple qui vient de haut est mis à profit par les spéculateurs de toutes les classes. Une de ces maisons interlopes qui s'arrogent le titre usurpé de banque, vient de s'effondrer dans des conditions assez bizarres.
?Pendant la journée d'hier, aucun des employés de la maison Mancal, dont le siége se trouvait rue Louis-le-Grand, n'a paru aux bureaux de la Société. Les gar?ons de bureau eux-mêmes n'ont pas ouvert les portes à l'heure ordinaire, et les nombreux clients qui venaient apporter ou retirer des dép?ts n'ont pu y pénétrer.
?Immédiatement averti et devinant un de ces sinistres auxquels l'esprit de spéculation qui inspire le pouvoir donne de trop fréquents prétextes, le commissaire de police a fait ouvrir les portes.
?Les bureaux étaient complétement vides: tous les papiers avaient été enlevés clandestinement. Inutile de dire que la caisse ne contenait plus
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