Les loups de Paris | Page 3

Jules Lermina
de Goniglu, dont la langue, à demi sortie en signe d'attention, faillit être séparée en deux.
Mais Muflier fut plein de dignité.
Saisissant, entre le pouce et l'index, comme pour un examen sommaire, son nez rouge de sang, il dit à Armand:
--Quand je vous disais qu'il en reviendrait.
Seulement c'était une crise terrible qui se préparait. Le visage, d'ordinaire si pale de Thomerville, était maintenant congestionné.
Armand dut faire appel à tout son sang-froid. Il éprouvait pour Archibald l'affection d'un frère, et on sait que, pour les savants, la cure des amis et des proches est la plus difficile.
Plusieurs jours se passèrent dans des angoisses terribles. C'était un dévouement de tous les instants, des terreurs de chaque minute. Le délire dura plusieurs nuits, faisant craindre pour la vie du malade.
Muflier, qui, après avoir compris l'effet produit par sa présence, s'était d'abord discrètement retiré, avait de nouveau offert ses services à Armand, qui les avait d'abord refusés.
Mais les deux camarades avaient tant insisté que de Bernaye avait fini par se laisser fléchir.
Du reste, les raisons alléguées par Muflier étaient péremptoires.
La première, c'est que privé--pour cause majeure et pour obéir à M. de Thomerville--du plaisir de la promenade, il s'ennuyait et tenait à occuper son temps, l'oisiveté étant la mère de tous les vices.
La seconde, c'est qu'il éprouvait--chose bizarre--une profonde sympathie pour M. le marquis, sympathie que partageait de tous points messire Goniglu.
Il en était une troisième qu'il avait prudemment passée sous silence. Ils étaient naturellement sans nouvelles de Biscarre, et l'accident arrivé à Archibald paraissait prouver que le roi des Loups avait, cette fois encore, triomphé de ses ennemis.
Or, Biscarre--ils le devinaient--n'était pas assez niais pour n'avoir pas compris d'où était venue l'attaque dirigée contre lui: si bien que les deux acolytes se sentaient mal à l'aise et n'étaient pas fachés de se ménager des défenseurs pour l'avenir.
En tout état de cause et quel que f?t le mobile de leur conduite, Muflier et Goniglu étaient devenus d'admirables gardes-malades.
Les ordres d'Armand étaient exécutés avec une ponctualité remarquable.
Rien n'était plus comique que d'entendre Muflier adoucir sa voix pour faire accepter à Archibald les prescriptions du docteur.
Le premier--ou plut?t le second mouvement d'Archibald, lorsque la raison lui était revenue et qu'il avait aper?u la tête bizarre de ses infirmiers, avait été un sourire presque joyeux.
Muflier, la main sur son coeur, avait protesté de son inaltérable dévouement: Armand avait, en deux mots, patronné les deux amis en rappelant les services déjà rendus. Si bien qu'Archibald les avait parfaitement admis auprès de lui.
Il e?t voulu même les interroger: mais la consigne du silence était absolue, et pour un empire--ou même pour mieux que cela--Muflier n'e?t pas répondu.
Voilà comment nous trouvons Muflier agitant avec soin un loch destiné au marquis de Thomerville.
Celui-ci entrait en pleine convalescence. Son organisme vigoureux avait résisté à cette épouvantable secousse. Muflier, ce matin-là, était radieux.
Il savait que le docteur allait lever la consigne du silence, ce qui lui causait dans la glotte d'agréables chatouillements.
Vers sept heures, Armand arriva.
--Eh bien! mon brave, demanda-t-il à Goniglu, comment va notre malade?
--De mieux en mieux.
--Décidément, dit Armand en riant, voici, pour l'avenir, une profession toute trouvée.
Goniglu esquissa un geste plein de modestie, puis, s'effa?ant, il laissa passer Armand, qui pénétra dans la chambre de Thomerville.
Muflier se mit au port d'armes.
Armand s'approcha du lit. Archibald lui tendit la main.
--Vous m'avez sauvé! dit-il.
Sa voix était ferme, pleine. C'était bien la santé qui revenait à grands pas.
--Mon ami, fit Archibald se tournant vers Muflier, laisse-nous; si j'ai besoin de toi, je t'appellerai.
--Je suis aux ordres de monsieur le marquis.
Et s'inclinant avec cette désinvolture qui lui était naturelle, Muflier alla rejoindre Goniglu.
--Et maintenant, dit Archibald à Armand, j'espère que vous allez mettre fin à l'horrible supplice que vous m'avez imposé, à ce silence qui me pèse et me torture.
--Attendez, fit Armand.
Il alla à la fenêtre, écarta les rideaux, qui laissèrent pénétrer la vive lumière du matin; puis revenant au lit, il examina longuement le visage du convalescent.
--Me promettez-vous, dit-il, de parler sans animation, de conserver en toutes choses votre calme et votre sang-froid?
--Je crois que je n'aurais pas la force de m'exaspérer, fit Archibald en riant.
--C'est pour cela qu'il ne faut pas abuser de cette première vigueur qui vous revient. Sous les réserves que j'ai dites, je vous autorise à parler.
--J'ai d'abord de nombreuses questions à vous adresser.
--Faites.
--Vous n'avez pas encore prononcé le nom de sir Lionel. Est-il vivant?
Une ombre de tristesse passa sur le visage d'Armand.
--Sir Lionel est vivant; mais peut-être e?t-il mieux valu pour lui qu'il e?t succombé.
--Que voulez-vous dire?
--J'ignore comment vous avez échappé à l'incendie de la maison de Biscarre; j'ignore par quelles horribles péripéties vous avez d? passer avant que vos deux corps vinssent flotter dans la Seine; mais ce que je n'ai que trop réellement constaté, c'est que la raison de sir Lionel n'a pu résister à ces secousses.
--Fou!
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