un véritable talent d'orateur, et comprenant que, bien dirigé, il lui serait possible de parvenir, soit par le barreau, soit par la magistrature, à de hautes destinées, M. de Mauvillers éprouva une jalousie haineuse, et ne tenta rien pour satisfaire aux voeux de son ami mort.
Jacques eut toute liberté de penser, d'agir, d'aller là où l'entra?nerait son imagination.
Seulement, lorsque Jacques s'enthousiasma par les idées nouvelles, se réchauffa à cette lueur révolutionnaire qui semblait jaillir à nouveau du foyer de 89, M. de Mauvillers le mit à la porte.
On sait le reste.
Mais Jacques n'avait pas impunément passé vingt ans de son existence auprès des deux jeunes filles.
Mathilde était de caractère calme et froid. Non qu'à l'exemple de son père elle niat ou ignorat ce qu'étaient le beau et l'idéal. Mais elle avait hérité de sa mère la passivité, presque la défiance d'elle-même et des autres. Elle adorait sa soeur et se f?t sacrifiée pour elle; mais elle renfermait ses sentiments dans son coeur, restant toujours affable, d'humeur égale et douce, réprimant, sans raisonner, bien entendu, tout élan, toute expansion.
Marie était tout autre: c'était l'enfant avec toutes ses na?vetés, ses joies sans motif ou ses petites colères mutines. Elle riait à la vie, à l'avenir comme si elle avait couru à une fête. Elle aimait à parler, à ouvrir son ame à toutes les effluves; tout lui était plaisir; sa charité gracieuse doublait le prix de l'aum?ne. Quand elle passait dans le pays, on disait: Voilà le soleil d'Ollioules!
Et c'était, en vérité, comme un rayonnement de joie, de bonté et de charme.
Que de fois, courant avec Jacques à travers les prairies ou les bois d'oliviers, elle avait écouté avec ravissement la voix des oiseaux, chantant leurs hymnes de joie! Alors elle le prenait par la main et lui disait:
--Tout est beau! tout est bon!
L'amour vint. Tout autre que M. de Mauvillers l'e?t prévu. Lui, ne vit rien. Il chassa le fils de son bienfaiteur, comme il e?t fait d'un laquais. Marie voulut prendre sa défense, M. de Mauvillers l'arrêta d'un seul mot. Il voulait, cela devait suffire.
Ces rigidités irraisonnées amènent la révolte. Marie feignit de se soumettre. Et la contrainte qu'elle s'imposa ne fit que développer le sentiment qui germait encore ignoré en elle.
Sa soeur comprit, mais trop tard. Mathilde pouvait-elle prévoir la faute, ignorant elle-même ce qu'était l'amour...?
Un jour, Marie lui avoua qu'elle aimait Jacques, et qu'elle était aimée de lui. Elle ne se repentait pas. Jacques était si bon, si honnête, si aimant! Pourquoi ne l'aimerait-elle pas? Il était certain que le mariage aurait lieu. Il suffisait que M. de Mauvillers se réconciliat avec lui. Et, le temps marchait; et Jacques, fou d'amour, fou de jeunesse, ne sentait pas qu'il marchait à sa perte. Ses idées, ses convictions, étaient pour lui une religion; il était convaincu du triomphe prochain. Tout lui semblait beau, lumineux, rayonnant.
Vint le réveil....
Jacques était arrêté, Marie allait devenir mère.
M. de Mauvillers était implacable. Le fils du marquis de Costebelle n'était plus qu'un ennemi politique. Il était condamné d'avance.
Mathilde fut admirable de dévouement. Elle eut le courage d'aller avouer la vérité à une vieille parente qui habitait Aix, la suppliant de l'aider à sauver la coupable. Madame de Sorlis, c'était son nom, y consentit, et, grace à un stratagème, Marie put aller passer chez elle les derniers mois de sa grossesse.
M. de Mauvillers avait en vérité bien d'autres soucis en tête.
Puis voilà que Marie avait appris les inquiétantes péripéties de l'instruction dirigée contre Jacques. Jusqu'alors elle avait eu confiance. M. de Mauvillers ne pouvait oublier le passé à ce point: le fils du marquis devait lui être sacré!
Pauvre enfant, qui ne croyait pas au mal et qui s'était perdue avec l'insouciance des rêveurs!
Enfin, le jour se fit dans son cerveau. Une vision horrible apparut devant ses yeux... le tribunal, la condamnation... l'échafaud!
Alors, folle de terreur, s'arrachant aux bras de madame de Sorlis, qui voulait en vain la retenir, elle était revenue vers sa soeur, en lui criant:
--Sauve-nous!
Et maintenant, dans cette soirée sinistre où l'arrêt de mort tombait des lèvres de M. de Mauvillers, elle était là, dans cette masure, étendue sans force sur son lit de douleur, à demi folle, attendant sa soeur, qui était allée à Toulon pour conna?tre l'issue du procès.... Sa soeur, qui savait tout et qui ne revenait pas....
La femme qui la soignait était sa nourrice.
Nous le savons; on l'appelait Bertrade.
La pauvre femme pleurait sur celle qu'elle appelait encore sa fille, comme au temps où elle la nourrissait de son lait.
Elle regardait ce visage pali, ces yeux creusés par les larmes et la souffrance, et elle ber?ait machinalement le petit enfant qui dormait dans son berceau.
Puis, il y avait plusieurs nuits qu'elle veillait, elle s'était assoupie....
Marie était restée seule dans ce silence, seule avec ses épouvantables angoisses. Ses lèvres répétaient incessamment un nom:
--Jacques!
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