Jacques!...
Ses yeux ne quittaient pas l'horloge de bois suspendue au mur et dont le balancier tintait monotone derrière les poids de fer.
Il était minuit et demi....
Tout à coup Marie tressaillit, et d'un effort elle se dressa à demi, se soutenant sur ses poignets. était-ce donc une illusion? Elle croyait avoir entendu du bruit au dehors!...
Si c'était Mathilde!...
Elle revenait. Tout était fini. Etait-il condamné? Qui sait? Peut-être M. de Mauvillers...
--Bertrade! Bertrade! cria-t-elle.
La nourrice se réveilla en sursaut.
--A la porte... cours... vite.... Quelqu'un!...
Bertrade se hata d'obéir.... La porte tourna en grin?ant sur ses gonds rouillés....
Et deux cris retentirent:
--Marie!
--Jacques!...
Et la pauvre enfant, folle de joie, éperdue, à demi mourante, se laissa tomber dans les bras de celui qu'elle croyait à jamais perdu...
V
LE SERMENT D'UNE MèRE
--Toi, mon Jacques! répétait Marie qui sanglotait.
Elle l'avait doucement écarté d'elle, et le regardait de ses grands yeux rayonnants d'une joie indicible.
La vieille Bertrade s'était laissée tomber sur les genoux, et portait à ses lèvres le vêtement du jeune homme.
Jacques sentait les larmes monter à ses paupières; il ne pouvait parler, tant l'émotion le tenait serré à la gorge.
En vérité, c'était une épouvantable situation.
Il comprenait quel espoir, mieux, quelle certitude s'imposait à celle qui lui appartenait. Elle le voyait, donc elle le croyait à jamais sauvé.
Et pourtant, il était perdu: quand le jour se lèverait, il tomberait sanglant sous les balles des exécuteurs.
S'il était accouru vers Marie, c'était pour obéir à l'appel que Mathilde lui avait adressé.
Il voulait lui crier:
--Je veux que tu vives, je veux que tu caches à ton père notre faute commune. Par prudence pour toi-même, pour notre enfant, il le faut, je te supplie de m'obéir.
Il n'avait pas songé à cette illusion sinistre que lui donnait sa présence. Pouvait-elle deviner, elle, qu'il e?t obtenu de ses ge?liers quelques heures de liberté?... et surtout qu'il e?t donné sa parole d'honneur en garantie de son retour, quand ce retour, c'était la mort? Il restait là, immobile sous son regard, muet.
Parler, c'était la tuer.
La joie folle qui lui remplissait le coeur ne pouvait être sans danger immédiat pour sa vie, transformée tout à coup en cette horrible angoisse.
--Jacques, dit-elle enfin, de sa voix si douce, tu n'as pas encore embrassé notre enfant.
Elle fit un signe à la vieille nourrice, qui souleva l'enfant dans ses bras.
Marie le prit et approcha son front des lèvres de Jacques.
L'enfant!...
A sa vue, Jacques éprouva une telle douleur qu'il eut peine à réprimer un cri.
Oh! comme il l'embrassa pour mieux cacher la poignante étreinte qui lui brisait le coeur!
--Tu l'aimeras bien, disait Marie. Sais-tu, il est très-fort. Je l'appellerai Jacques comme toi. Oh! maintenant que tu es là, je ne crains plus rien, je suis heureuse.
Heureuse! ce mot tombait sur le cerveau de Jacques comme un coup de massue.
Tandis qu'elle parlait, tandis qu'il soutenait l'enfant en le serrant doucement contre sa poitrine, il regardait Marie.
Sa paleur avait disparu: les teintes de la vie étaient remontées à ses joues. Sous le bonnet de dentelle blanche qui serrait son front, ses cheveux blonds s'échappaient en boucles mutines. Ses grands yeux bleus rayonnaient d'une indicible émotion.
--Tu ne me parles pas, continuait-elle. Et pourtant tu as tant de choses à me dire. Il faudra que tu me racontes tout. Qui t'a sauvé? c'est notre père, n'est-ce pas? Vois-tu, nous avons été injustes envers lui. Il n'a pu frapper le fils d'un ancien ami.
--Marie!
Le malheureux se sentait trembler tout entier. Il e?t voulu arrêter sur les lèvres de la jeune femme ces paroles qui le torturaient.
Elle ne comprenait pas et continuait:
--Vois-tu, j'ai toujours confiance en lui, malgré sa sévérité apparente. Aussi, maintenant, nous ne devons plus avoir de secrets pour lui. Nous lui dirons tout. Je sais que l'aveu te co?terait trop; c'est moi qui aurai ce courage. Il nous pardonnera, j'en ai la conviction. Alors, quelle joie! Je serai ta femme devant les hommes, comme déjà je suis unie à toi devant Dieu.
Jacques poussa un cri. Il chancelait.
--Jacques! Jacques! qu'as-tu donc? Pourquoi ne me réponds-tu pas?
--Marie! il faut t'armer de courage...
--Du courage? et pourquoi? Quel nouveau malheur nous menace?
Jacques ne répondait pas.
Il parlait de courage, et lui-même se sentait lache.
Marie lui avait saisi les mains.
--Je t'en supplie, ne me laisse pas dans cette incertitude... J'ai tant souffert, depuis que tu étais là-bas, dans cette horrible prison.... Ah! je le sens... je n'ai plus de force pour souffrir.... Si l'espérance, à peine retrouvée, devait être perdue tout à coup.... Jacques, je sens que j'en mourrais...
--Mourir! Est-ce que tu as le droit de mourir, toi? Tu oublies donc notre enfant...
--Notre enfant!
Elle l'attira à elle et le couvrit de baisers.
--C'est vrai! et puis, pourquoi parler de mort... puisque tu es là... puisque nous sommes à jamais réunis!
L'horloge de bois sonna deux heures.
Il n'y avait plus à hésiter. Jacques ne pouvait rester une minute de plus. Il y avait là-bas un honnête
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