Les loups de Paris | Page 7

Jules Lermina
que ce sont des femmes de la haute, voilà tout.
--As-tu fait quelque supposition au sujet de leur séjour dans cette maison isolée?
--Ah! ?a! oui, j'en ai fait une.
--Laquelle?
--Ce n'est pas la peine de me regarder comme si tu allais me poignarder! Tu m'interroges, je réponds, et bien franchement encore.... J'ai supposé... on a le droit de supposer... que la plus jeune avait eu un malheur, et que, pour cacher les suites du malheur...
--Assez! dit encore Biscarre.
Il était livide.
--Ecoute-moi: Si jamais un mot sort de ta bouche, si jamais tu commets une sottise quelconque, si tu fais, même en face de moi, une allusion à cette aventure, aussi vrai que je m'appelle Biscarre, roi des Loups, tu es un homme mort!
Le géant parut mal à l'aise. Il para?t que cette menace avait un sens précis.
--C'est convenu, balbutia-t-il, on se taira.
--J'y compte. Maintenant suis-moi, et en route.
--Où allons-nous?
--A la maison isolée.
--Bah! l'affaire, c'est ?a?
--Pas de questions.
--Cependant, il faut que je sache ce que j'aurai à faire.
--Presque rien. Tu es s?r que la jeune dame est seule avec la paysanne?
--Oh! à cette heure-ci, tout ?a dort; à moins que le mioche ne les tienne éveillées.
--A mon signal, tu te jetteras sur la vieille.
--Et qu'est-ce que je lui ferai? fit Diouloufait avec le mouvement de tordre le cou à un poulet.
--Tu l'empêcheras de crier, de remuer.
--?a, c'est facile; mais faudra-t-il aller jusqu'au bout?
--Comme tu voudras.
--Bon.
--J'ai besoin de rester seul avec la femme, j'ai à lui parler sans témoins.
--Personne ne te gênera.
--Dans une heure, nous aurons atteint une baie dans laquelle un canot nous attend, et quand, à l'aube, le canon de la citadelle annoncera l'évasion de Biscarre, nous serons loin.
Un instant après, les deux hommes descendaient lentement la pente du roc et se dirigeaient du c?té du Beausset.

IV
MATHILDE ET MARIE
La maison à laquelle les deux for?ats venaient de faire allusion se trouvait sur le coteau qui s'appuyait, à l'orient, sur la masse des rocs d'Ollioules.
A vrai dire, cette batisse avait droit tout au plus au titre de chaumière, avec ses murs de pisé, son toit de paille, ses deux fenêtres étroites et incommodes, sa porte branlante et mal fermée.
Et cependant c'était là que s'était réfugiée la fille cadette de M. de Mauvillers, de celui-là même qui venait de condamner à mort Jacques de Costebelle.
Triste roman, que celui-là, et qui peut se résumer en quelques lignes.
M. de Mauvillers était resté veuf de bonne heure avec ses deux filles, Mathilde et Marie.
Absorbé par les soins de son ambition, il s'était peu préoccupé de l'éducation de ses enfants, estimant que le plus important serait, au jour venu, de les marier dans d'honorables conditions, ce qui signifiait, dans l'esprit de M. de Mauvillers, qu'elles devaient former des alliances utiles à ses propres projets.
M. de Mauvillers rêvait le ministère, la pairie. Ses filles pouvaient l'aider à atteindre ce but. Coeur sec et intelligence quasi brutale, il n'avait jamais éprouvé le moindre sentiment d'affection vraie, et ses ennemis disaient à voix basse--car il était redouté--que sa femme était morte de chagrin.
Il est des ames aimantes que l'égo?sme tue plus s?rement que le poison.
Mathilde et Marie s'étaient donc trouvées livrées à elles-mêmes. Leurs caractères s'étaient développés sans direction effective, sans contr?le efficace.
M. de Mauvillers n'exigeait d'elles que le respect. Les banalités de l'amour paternel restaient pour lui lettre morte, temps perdu, vaines démonstrations. Qu'on se levat lorsqu'il entrait, qu'on s'inclinat sans un mot devant ses volontés quelles qu'elles fussent, rien de plus. Il se croyait père parce qu'il dominait.
Ainsi que nous l'avons dit, il avait contracté vis-à-vis de M. de Costebelle les plus grandes obligations. Sa fortune personnelle, absolument compromise pendant l'émigration, avait été rétablie grace au concours du père de Jacques, homme honnête et bon dans toute l'acception du mot, et qui avait conservé jusqu'à sa mort cette illusion que M. de Mauvillers était une ame sto?que et digne des temps anciens. Il n'avait pas deviné que la fidélité gardée par M. de Mauvillers à la cause des Bourbons, même lorsque l'empire offrait carrière à son ambition, n'avait pour motif réel que la prescience intuitive de la chute prochaine du colosse. Il est des temps où l'attente et la patience sont des habiletés.
M. de Costebelle laissait en mourant deux fils: l'un, Frédéric, officier dans l'armée royale, et Jacques, ame d'artiste, vivace, exaltée, et qui ne semblait pétrie que pour la lutte.
Jacques inquiétait M. de Costebelle. En vain il avait tenté de régulariser cette fougue, d'endiguer cette énergie. Mais sa sévérité paternelle se brisait bient?t, devant les brillantes qualités de ce coeur chaud et enthousiaste.
Cependant, à son lit de mort, M. de Costebelle avait supplié son ami de Mauvillers de veiller sur ce fils bien-aimé. Il espérait que la froide raison du magistrat parviendrait à calmer cette excitabilité presque maladive.
M. de Mauvillers promit.
Et voici comment il tint sa promesse.
Reconnaissant à Jacques
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