patrie, nos familles, nos parents, nos amis, nos biens; une année qui, par un malheur encore plus grand, nous a fait perdre nos églises, nos temples, nos sanctuaires. Une année qui nous a jetés ici, sur les bords de cette terre qui nous était inconnue, et où nous sommes comme de pauvres corps que la tempête a poussés par ses violentes secousses. Oh! année triste entre toutes les années du monde!?
Une restauration monarchique ne serait rien autre chose aujourd'hui qu'une restauration religieuse; ainsi que le proclame M. Cazenove de Pradine, elle imposerait à la France les frais de la béatification d'un martyr aussi peu à plaindre que Louis XIV, et l'on pourrait dire de 1885 comme de 1685, que, c'est une année triste entre toutes les années du monde.
CHAPITRE PREMIER L'éDIT DE NANTES
Crois ce que je crois ou meurs. -- L'église Ponce Pilate. - - L'église opportuniste. -- Plan de Louis XIV. -- Patience de Huguenot. -- La parole du roi. -- Absence de sens moral. -- Marchandage des consciences. -- Les mendiants de la cour. -- La curée. -- L'édit de révocation jugé par Saint-Simon.
Le jour où le huguenot Henri IV, faisant le saut périlleux, était passé du c?té de la majorité catholique, estimant que Paris valait bien une messe, il avait imposé à cette majorité une grande nouveauté, la tolérance; par l'édit de Nantes, déclaré perpétuel et irrévocable, un traité solennel de paix avait été passé entre les catholiques et les protestants de France, sous la garantie de la parole du roi. Cet édit, grande charte de la liberté de conscience sous l'ancien régime, donnait une existence légale à la religion protestante, religion tolérée, en face du catholicisme, la religion dominante du royaume.
Par cet édit, le pouvoir civil s'élevait au-dessus des partis religieux, posant des limites qu'il ne leur était plus permis de franchir sans violer la loi de l'état. C'était là une grande nouveauté, puisque depuis bien des siècles chacun des princes catholiques de l'Europe disait à ses sujets: crois ce que je crois, ou meurs, massacrait, envoyait au gibet ou au b?cher ceux que l'église lui dénon?ait comme hérétiques. Ces princes n'étaient que les dociles exécuteurs des hautes oeuvres de cette église intolérante, qui fait aux princes chrétiens un devoir de fermer la bouche à l'erreur, et, parlant des hérétiques, dit, par l'organe du doux Fénelon: il faut écraser les loups! Bossuet, lui-même, affirme ainsi le droit des princes, à forcer leurs sujets au vrai culte, et à punir ceux qui résistent aux moyens violents de conversion: ?En quel endroit des écritures, dit-il, les schismatiques et les hérétiques sont-ils exceptés du nombre de ces malfaiteurs, contre lesquels saint Paul dit que Dieu même a armé les princes? Le prince doit employer son autorité à détruire les fausses religions; il est ministre de Dieu, ce n'est pas en vain qu'il porte l'épée.?
Ce qu'il y a de plus étrange, c'est que l'église, après l'extermination des Albigeois, les massacres de la Saint- Barthélemy, les auto-da-fé de l'inquisition, etc., ose soutenir qu'elle n'a jamais fait couler une goutte de sang, abhorret ecclesia a sanguine.
Le pape, lors de la béatification de saint Vincent de Paul, après avoir loué ce saint de ne s'être point lassé de réclamer du roi la punition des hérétiques, ajoute: ?C'était le seul moyen pour que la sévérité du pouvoir suppléat à la douceur religieuse, car l'église qui, satisfaite par un jugement canonique, se refuse à une vengeance sanglante, tire cependant un grand secours de la rigueur des lois portées par les princes chrétiens, lesquelles forcent souvent à recourir aux secours spirituels ceux qu'effraie le supplice corporel.?
L'abbé Courval, un des habiles professeurs jésuites de nos écoles libres, recourt à un semblable raisonnement pour dégager l'église de la responsabilité des auto-da-fé, dans lesquels des centaines de mille d'hérétiques ont péri sur le b?cher: ?Le tribunal de l'Inquisition, dit-il, se contentait d'accabler les hérétiques obstinés ou relaps, sous le poids des censures de l'église: Jamais l'Inquisition n'a condamné à mort. Mais, comme les princes d'alors voyaient dans l'hérésie, le blasphème et le sacrilège autant de crimes contre la société, ils saisissaient le coupable, à sa sortie de l'Inquisition, et souvent le punissaient de mort.?
Ainsi, c'est l'église qui a ordonné aux princes chrétiens de frapper de supplices corporels les crimes surnaturels de l'hérésie, du sacrilège et du blasphème et de traiter comme des malfaiteurs les hérétiques contre lesquels, dit-elle, Dieu les a armés; et quand, pour lui obéir, ces princes ont fait périr des milliers de victimes, comme Ponce Pilate, elle se lave les mains et décline la responsabilité du sang versé!
Entre le ma?tre qui a ordonné à son serviteur de commettre un meurtre et le serviteur qui a commis ce crime, la conscience publique hésitera-t-elle jamais à faire retomber la plus large part de responsabilité sur le ma?tre?
L'église aura
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