Les grands orateurs de la Révolution | Page 5

Alphonse Aulard
En réalité, il n'avait tout son prix, au moral et au
physique, que quand il parlait en public. Le Midi seul forme ces natures
merveilleuses, faites pour la représentation, pour la vie tumultueuse en
plein air, pour le contact incessant de la foule, natures que la solitude
rapetisse et enlaidit, que la publicité grandit et transfigure, et pour
lesquelles l'éloquence est le plus impérieux des besoins.
Note:
[1] «En voyant entrer Mirabeau, M. de la Marck fut frappé de son
extérieur. Il avait une stature haute, carrée, épaisse. La tête, déjà forte
au delà des proportions ordinaires, était encore grossie par une énorme
chevelure bouclée et poudrée. Il portait un habit de ville dont les
boutons, en pierres de couleur, étaient d'une grandeur démesurée; des
boucles de soulier également très grandes. On remarquait enfin dans
toute sa toilette, une exagération des modes du jour, qui ne s'accordait

guère avec le bon goût des gens de la cour. Les traits de sa figure
étaient enlaidis par des marques de petite vérole. Il avait le regard
couvert, mais ses yeux étaient pleins de feu. En voulant se montrer poli,
il exagérait ses révérences; ses premières paroles furent des
compliments prétentieux et assez vulgaires. En un mot, il n'avait ni les
formes ni le langage de la société dans laquelle il se trouvait, et quoique,
par sa naissance, il allât de pair avec ceux qui le recevaient, on voyait
néanmoins tout de suite à ses manières qu'il manquait de l'aisance que
donne l'habitude du grand monde....
«.... Mais, après le dîner, M. de Meilhan ayant amené la conversation
sur la politique et l'administration, tout ce qui avait pu frapper d'abord
comme ridicule dans l'extérieur de Mirabeau disparut à l'instant. On ne
remarqua plus que l'abondance et la justesse de ses idées, et il entraîna
tout le monde par sa manière brillante et énergique de les exprimer.»
(Correspondance de Mirabeau et de La Marck, t. I. p. 86.)
[Illustration: HONORÉ GABRIEL COMTE DE MIRABEAU]
_Député de la Sénéchaussée d'Aix à l'Assemblée Nationale en 1789.
Elu président le 29 Janvier 1791. Mort le 2 Avril 1791._
A Paris, chez l'AUTEUR, Quay des Augustins No. 71 au 3e.]
Tel était Mirabeau à la veille d'entrer dans la vie publique, réunissant
dans sa personne toutes les conditions d'éloquence parfaite qu'ont
énumérées un Cicéron et un Quintilien. Il semble qu'un tel homme,
porté par la nature et par les circonstances, va dépasser ce Cicéron, qu'il
aimait à lire, et qui sait? atteindre Démosthène, d'autant plus que ces
grandes vérités, ces admirables lieux communs qui ont fait vivre
jusqu'à nous les harangues antiques, il aura la bonne fortune d'être le
premier à les exprimer à la tribune française qu'il inaugure. Un public
tout neuf au plaisir d'écouter, voilà son auditoire. Les passions et les
idées de toute la France, et de la France du XVIIIe siècle encore
philosophe, enthousiaste, héroïque, voilà la matière de ses harangues.
Jamais le génie ne rencontra de si belles et de si faciles circonstances.
Et pourtant, si sublimes que soient les accents du discours sur la
banqueroute, si brillante que nous apparaisse la carrière oratoire de
Mirabeau, nous rêvions mieux. Après ces élans sublimes, pourquoi ces
chutes, ces langueurs, ces sommeils? Pourquoi la pensée du grand
homme se dérobe-t-elle parfois comme à dessein, au lieu de se
développer d'un discours à l'autre avec harmonie et clarté? Pourquoi la

déclamation succède-t-elle tout à coup à l'accent sincère, aux beautés
solides et simples? C'est qu'il manquait à Mirabeau un avantage que ses
collègues de la Constituante possédaient presque tous: la considération
publique. Aujourd'hui que nous ne voyons plus de l'orateur que le côté
glorieux, nous ne pouvons nous figurer avec quel mépris il fut accueilli
à Versailles. On ne lui parlait pas; on considérait, même à gauche, sa
présence comme un scandale. Outre que ce transfuge de la noblesse
n'inspirait nulle confiance, une légende déshonorante s'attachait à son
nom. Les calomnies de son père avaient fait leur chemin, et tous les
vices semblaient marqués hideusement sur cette figure ravagée. L'Ami
des hommes, qui avait obtenu contre son fils jusqu'à dix-sept lettres de
cachet, avait laissé publier, lors du procès d'Aix, un recueil de ses
lettres intimes où il disait de Mirabeau tout ce que pouvaient lui
inspirer la haine et une colère habilement attisée par M. de Marignane.
Mauvais fils, disait-on, mauvais époux, mauvais père, Mirabeau
pouvait-il être un bon citoyen? Et encore on lui eût pardonné ses vices
et ses crimes, mais on l'accusait d'avoir manqué même à l'honneur. On
parlait tout haut de sa bassesse et de sa vénalité. Son éloquence au
début étonnait, effrayait, ne convainquait pas. _On ne croyait pas ce
qu'il disait._
Il parvint à séduire, à arracher l'assentiment, à décider certains votes
par l'éclat éblouissant de la vérité; il obtint une grande
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