il y a trop de détours dans ce sérail.
--Ah! vous voilà, grommela derrière lui une voix de mauvaise humeur,
par où diable êtes-vous passé?
Caldas reconnut le profil de son cornac.
--Vous me cherchiez? demanda-t-il.
--Moi! pas du tout, répondit le garçon; mais puisque vous voilà,
suivez-moi et tâchez de ne plus me perdre.
Caldas avait presque envie de prendre le pan de l'habit marron-clair,
comme les enfants prennent le pan du tablier de leur bonne; mais cette
précaution fut inutile, et il arriva sans encombre au cabinet du chef de
division.
VII
--Monsieur Romain Caldas, fit M. Mareschal en se levant, vous nous
étiez annoncé, Monsieur, et vous êtes le bienvenu.
Charmé de cette façon ouverte et cordiale d'accueillir son monde,
Romain se sentit tout de suite pris d'une grande sympathie pour son
chef de division.
Et vraiment M. Mareschal est l'homme le plus aimable du ministère; il
a le don si rare de parler aux petits sans les écraser.
C'est le vrai signe de la force.
--Romain Caldas! continua M. Mareschal après avoir fait asseoir son
subordonné, eh mais! j'ai vu ce nom-là quelque part. Vous écrivez dans
les journaux?
--Non bis in idem, pensa le nouveau qui lisait quelquefois les
feuilletons de Janin; et il répondit avec une impudence qui promettait:
--Je n'ai jamais fait imprimer une ligne, Monsieur.
--Ah! tant pis, dit le chef de division, nous avons ici quelques gens de
lettres, ce sont d'excellents garçons, je les aime beaucoup.
--Encore une école, se dit Romain; drôle de boutique, on ne sait sur
quel pied danser. Et comme il avait soif de faire son chemin, il se
promit d'avoir toujours quelques cocardes de rechange dans sa poche. Il
reprit tout haut:
--Me voici maintenant, Monsieur, tout à votre disposition, et je puis
aujourd'hui même, si vous voulez m'indiquer ma besogne...
--Oh! oh! fit M. Mareschal en riant avec bonhomie, le feu sacré du
premier jour, je connais ça; il se refroidira.
Caldas mit la main sur son coeur, comme pour prendre le ciel à témoin
de la sincérité de son intention.
Le chef de division continua:
--Écoutez, mon cher monsieur, on ne quitte pas ainsi ses occupations
(car je ne vous fais pas l'injure de supposer que vous n'en eussiez pas),
sans avoir quelques dispositions à prendre, quelques transitions à
ménager; je vous accorde huit jours de répit. Le service n'en souffrira
pas. Rien ne presse en ce moment, et d'ici là, je trouverai quelque
occupation intelligente à la mesure de vos capacités.
--C'est à vous que j'aurai l'honneur de me représenter? demanda
Romain.
--Inutile, répondit M. Mareschal, vous irez droit au bureau du Sommier.
J'aviserai de votre arrivée votre futur chef, M. Ganivet, un homme
charmant, avec qui vous n'aurez que des rapports agréables. Sans adieu,
Monsieur, et à huitaine.
Romain sortit en se confondant en remercîments, convaincu qu'entre
son chef de division et lui, c'en était désormais à la vie, à la mort.
VIII
Caldas n'avait pas de transitions à ménager.
On quitte la bohème comme une auberge mal famée, quand et comme
on peut; on part sans dire adieu à personne.
Les huit jours de répit que lui accordait M. Mareschal furent donc pour
lui comme un congé anticipé. Il en profita pour visiter quelques amis de
sa famille, de la race de ces correspondants-amateurs auxquels les gens
de province recommandent instamment leurs fils à surveiller, comme si
à Paris on avait le temps de se mêler des affaires des autres.
Du jour où Romain s'était mis à écrire dans les journaux, il avait cessé
de voir ces excellents bourgeois, sachant bien qu'ils devaient le
considérer comme un homme à la mer.
En entrant dans l'administration, il revenait sur l'eau et il s'empressait
d'aller leur faire part de son sauvetage. Peut-être l'idée que quelqu'un
d'entre eux écrirait à sa famille n'était-elle pas étrangère à sa politesse.
Partout il fut bien reçu, et M. Blandureau, riche négociant qui professe
pour la littérature l'estime qu'elle mérite, le retint à dîner.
--Vous avez pris un sage parti, jeune homme, lui dit ce commerçant à
cheval sur ses principes, en quittant un métier qui n'en est pas un. En
embrassant la carrière administrative, vous vous rattachez à la société;
vous devenez quelque chose.
--Pardon, interrompit Romain; dans la littérature j'aurais pu devenir
quelqu'un.
--Et après?... continua M. Blandureau; songez donc qu'aujourd'hui vous
avez une position dans le monde. Et tenez, moi qui vous parle,
j'aimerais mieux donner ma fille en mariage à un sous-chef de
ministère qu'à n'importe quel académicien. Ce sont les premiers de
votre état, et ils gagnent douze cents francs par an!
--Et puis ils sont si vieux! dit Caldas.
M. Blandureau aurait sans doute ajouté des choses bien plus fortes
encore, si Romain ne s'était esquivé pour courir au théâtre.
*
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