Les gens de bureau | Page 8

Emile Gaboriau
�� l'��ducation des peuples, cet homme politique ne craignit point de lui r��v��ler son dernier mot sur ?l'��v��que de Rome,? et finit en lui commandant un article sur une nouvelle pate �� faire couper les rasoirs.
En vingt-quatre heures, Romain fit un po?me. Le directeur du grand journal, apr��s avoir lu attentivement l'article, crut pouvoir lui pr��dire un bel avenir litt��raire, et, s��ance, tenante, lui fit compter quarante francs.
--J'aime la ligne de ce journal, pensa Caldas.
Muni de ce viatique, il s'��lan?a dans un fiacre:
--A Grenelle, au th��atre! dit-il au cocher.
Il y avait d��j�� plus de six semaines que le coeur de Caldas avait ��t�� incendi�� par la chevelure de mademoiselle C��lestine. C'��tait �� la descente de l'Omnibus des Artistes qu'il l'avait aper?ue pour la premi��re fois.
--Le connaissez-vous, monsieur, cet omnibus? Il a fait la fortune du directeur de g��nie qui a su appliquer ce v��hicule �� l'art dramatique.
Ce grand homme a r��solu pour le com��dien le probl��me de l'ubiquit��. Avec une seule troupe, M. Mont-Saint-Jean dessert huit salles de la banlieue, et, grace au trot rapide de ses chevaux, le m��me ?bon fils? peut, le m��me soir, retrouver sur quatre th��atres aux quatres points cardinaux la m��me ?croix de sa m��re.?
Et des esprits chagrins viendront nous dire que l'art est dans le marasme!...
--Non, monsieur, la carrosserie a fait de grands progr��s.
Scarron ne donnait qu'une charrette �� sa troupe ambulante. Mont-Saint-Jean met �� la disposition de ses artistes une voiture �� ressorts.
C'est ��gal, l'auteur du Roman comique reconna?trait les siens; il saluerait plus d'un visage aux vitres de l'omnibus.
Du reste, Mont-Saint-Jean est plus fort que lui. Son omnibus a dix-huit places; il y fait tenir trente com��diens.
L'��toile de Caldas brillait ce soir-l�� du plus vif ��clat au firmament. Il arriva au th��atre, juste comme mademoiselle C��lestine, qui venait d'��tre poignard��e par le duc de Buckingham, chaussait ses caoutchoucs pour regagner la loge paternelle.
Cette ing��nue avait ��t�� cruelle pour Romain: c'est en vain qu'il avait compos�� pour elle des sonnets de la plus belle eau; c'est en vain qu'il l'avait oppos��e dans le Bilboquet �� mademoiselle Fix de la Com��die-Fran?aise; elle avait r��sist��.
Elle ne r��sista pas �� l'offre d'un souper chez Magny. Mais en passant devant le Grand-Cond��, elle s'aper?ut que sa robe ��tait d��chir��e.
--Ah! si vous m'aimiez r��ellement, soupira-t-elle en lui serrant la main.
Caldas n'h��sita point,--et pourtant il n'avait pas d?n��. Mademoiselle C��lestine eut une robe qui fit longtemps le d��sespoir de sa bonne amie, la forte jeune premi��re amoureuse. Mais le souper des fian?ailles se fit chez Romain. La r?tisseuse de la rue Dauphine fournit pour trois francs un frugal menu qui fut arros�� d'un petit-bleu largement baptis��.
Il monta pourtant �� la t��te de Romain, ce cru d'Argenteuil, si bien qu'il commit l'imprudence d'avouer �� C��lestine sa r��cente nomination au minist��re de l'��quilibre national. Des r��ves d'ambition se m��laient �� ses r��ves d'amour. Il ne cacha pas �� son amante que le plus bel avenir administratif lui ��tait r��serv��. Il se voyait d��j�� chef de division et lui faisait pr��sent d'une voiture attel��e de deux chevaux gris pommel��s.
--Je t'aimerai toujours, lui dit l'ing��nue, et je viendrai chez toi tous les trente et un du mois.

XI
Elle avait l'habitude d'aller en voiture, la pensionnaire de Mont-Saint-Jean.
Caldas fut h��ro?que; il lui restait trente centimes, il offrit l'omnibus.
Et pourtant le jour qui se levait, ��tait son premier jour de servitude. Pour la premi��re fois il se dit:
--Allons, il faut aller �� mon bureau!
Il fallait aller au bureau, en effet, sans avoir d��jeun��, sans un sou, sans savoir s'il d?nerait le soir...
Il fut sur le point, le mis��rable, de regretter ses quarante francs.
Qu'en restait-il �� cette heure? une vague senteur ambr��e dans sa chambre de gar?on, une ��pingle noire sur sa chemin��e.
Un espoir survivait chez lui, et c'est avec un battement de coeur qu'en passant devant la loge de sa porti��re il lui jeta ces mots:
--Avez-vous une lettre pour moi?
La porti��re haussa les ��paules avec m��pris.
--C'est fini, se dit-il, je ne dois plus compter sur mon p��re.
Et serrant d'un cran la boucle de son pantalon, il courut au minist��re.
M. Ganivet, son chef de bureau, l'attendait; m��me il avait gard�� son habit noir pour cette solennit��: d'ordinaire, pour abattre de la besogne, il se met en manche de chemise.
Caldas n'avait jamais vu un homme aussi poli que M. Ganivet: poli est trop peu dire; son geste moelleux, sa voix de miel, l'onction de son sourire, en font l'incarnation vivante de cette formule st��r��otyp��e: ?J'ai l'honneur d'��tre, monsieur, votre tr��s-humble et tr��s-ob��issant serviteur.?
Mais cette urbanit�� perp��tuelle n'est aussi qu'une formule chez M. Ganivet. Tr��s-orgueilleux au fond et tr��s-fier de sa position, s'il condescend �� tant d'amabilit�� pour les inf��rieurs, c'est qu'il a fait son profit du mot de Gavarni: ?Les petits mordent.?
C'est le credo de sa politique. Cet ambitieux de bureau cherche son levier dans la popularit��. Si
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