Les gens de bureau | Page 7

Emile Gaboriau
la Providence...
C'��tait Cahusac, le boh��me qui travaille quelquefois et qui ferait de si charmants articles, s'il prenait la peine de garder la monnaie de sa conversation. Cahusac cause, il n'��crit pas; c'est un artiste en mots, il p��tille comme un feu d'artifice; et quand l'esprit lui manque, il se sauve par la m��chancet��. C'est du fiel champanis��.
Greluchet ne connaissait que trop ce Rivarol de brasserie; son flanc portait encore une plaie ouverte. Cahusac avait lanc�� plus d'un mot terrible �� son adresse.
Greluchet est sans rancune. Il s'ennuyait tout seul, il appela son bourreau.
Cahusac h��sita, mais il avait soif aussi, et il entra.
--Hein! cria Greluchet, est-ce assez infect?
Trois bourgeois qui jouaient aux dominos lev��rent la t��te, et Greluchet fut content, il faisait sensation.
--Que pouvez-vous trouver d'infect, vous? demanda Cahusac avec la derni��re insolence...
--La pi��ce, parbleu!
--Y ��tiez-vous?
--J'en sors.
L'oeil impitoyable de Cahusac se fixa sur son interlocuteur, qui se sentit si d��contenanc��, qu'il fit servir une canette.
--Racontez-moi donc la pi��ce, reprit Cahusac.
--Il n'y a pas de pi��ce.
--Et les mots?
--Il n'y a pas de mots.
--Mais enfin, de quoi est-il question?
--Eh! de rien? toujours la m��me rengaine...
--A-t-on siffl��? a-t-on applaudi?
--Heu! heu!
--Bon, dit Cahusac, je suis fix��.
--Sur quoi? demanda Greluchet surpris.
--Sur vous, parbleu!
Le critique eut presque envie de se facher; mais la barbe noire de Cahusac l'intimidait positivement.
Le mot cependant jeta du froid dans la conversation, et Cahusac se levait d��j�� pour prendre son chapeau, quand la sortie du th��atre fit affluer dans le caf�� un dernier ban de consommateurs.
Parmi eux, l'oeil de lynx de Greluchet distingua--non, devina l'ami Romain Caldas.--?La bi��re est pay��e, pensa-t-il, merci, mon Dieu!? Et se dressant sur ses maigres jambes, il h��la le sauveteur. Du m��me coup, il fit apporter un moos.
Le trop confiant Romain vint s'asseoir �� la table des deux boh��mes.
--Quel succ��s! dit-il; au d��no?ment on nous a servi l'auteur.
Greluchet n'��tait pas �� la conversation; il admirait les beaux habits de Caldas...
--Ah ?��! te voil�� v��tu comme feu Gandin, dit-il avec envie; il y a donc de l'or, au _Bilboquet_?
--Pas trop, dit Romain, mais j'ai la confiance d'un tailleur.
--Un tailleur �� tomber, interrompit Cahusac, je demande son adresse.
--Entendons-nous; reprit Caldas; j'ai sa confiance, parce que j'ai une place.
--Une place! firent en choeur les deux boh��mes.
--Oui, mes amis, j'entre au minist��re de l'��quilibre.
--Paye-t-on la copie? demanda le critique.
--Cent francs par mois, r��pondit Romain, pour commencer.
--Alors, mordioux! fit le critique; saisissant la balle au bond, c'est toi qui r��gleras la consommation.
--Cent francs, reprit Cahusac, mais c'est la Californie; je demande une pioche... Voyons, qu'est-ce qu'il faut faire pour gagner tout cet argent-l��?
--Pas grand'chose, en v��rit��. On arrive au bureau sur les dix heures; �� cinq heures on est libre.
--?a fait sept heures, observa Cahusac, c'est long!
--Y va-t-on tous les jours? demanda Greluchet.
--Dame, oui, les dimanches except��s.
--?a fait vingt-six jours par mois, remarqua le critique; c'est beaucoup.
--Je vous trouve superbes, reprit Caldas; est-ce que vous avez jamais gagn�� cent francs �� travailler dans vos journaux?
--D'abord nous ne travaillons pas, r��pliqua Cahusac.
--Et nous sommes libres, ajouta Greluchet.
--Vous n'allez pas toujours o�� vous voulez, dit l'autre.
--Pas toujours, mais qu'importe?
--Il importe si bien, s'��cria Cahusac, que de vos cent francs je ne veux en aucune sorte, et ne voudrais pas m��me �� ce prix d'un tailleur.

IX
La fable du loup et du chien ne fit point revenir Caldas sur sa d��termination. Il allait porter un collier, c'est vrai, mais le blesserait-il plus que le collier de mis��re, dont il gardait encore les cicatrices?
Plein de confiance en l'avenir, il ��crivit �� son p��re pour lui annoncer son changement d'existence. Cette lettre, qui devait combler de joie la moiti�� de la population de C��ret (Pyr��n��es-Orientales), faisait honneur aux bons sentiments de Romain, le post-scriptum surtout, o�� il demandait quelque argent: un fils respectueux n'��crit jamais �� ses parents sans leur demander de l'argent.
Caldas en avait un grand besoin, d'argent. M. Krugenstern, par oubli sans doute, avait n��glig�� de payer le loyer et la pension de son prot��g��. Une fausse honte avait emp��ch�� Romain de lui rappeler ce d��tail important.
Bachi-bozouk litt��raire, Caldas d?nait le plus souvent de la razzia de l'impr��vu. Il campait au bivouac de l'amiti�� ou de l'amour,--du cr��dit quelquefois. Incorpor�� dans les bataillons r��guliers de l'administration, il lui fallait d��sormais un ordinaire et un casernement assur��s.
Voil�� pourquoi il avait fait traite sur l'amour paternel.
La civilisation, qui s'int��resse aux n��gres, n'a pas encore prohib�� la traite des p��res.

X
En attendant la r��ponse de C��ret, Caldas r��vait aux moyens d'enterrer sa libert�� au bruit de cette musique qu'aime Marco. Aux placers vingt fois remu��s de son imagination, il r��clamait un peu d'or, oh! pas beaucoup! le prix d'un souper.
Ma foi, il se paya d'audace; il alla demander ?de l'ouvrage? au directeur d'un grand journal. Ce directeur, qui fait profession d'aimer la jeunesse, accueilli avec empressement l'offre de collaboration de Caldas. Sacrifiant pour lui cinq minutes du temps qu'il consacre
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