Les gens de bureau | Page 6

Emile Gaboriau
dans les journaux?
--Non bis in idem, pensa le nouveau qui lisait quelquefois les feuilletons de Janin; et il r��pondit avec une impudence qui promettait:
--Je n'ai jamais fait imprimer une ligne, Monsieur.
--Ah! tant pis, dit le chef de division, nous avons ici quelques gens de lettres, ce sont d'excellents gar?ons, je les aime beaucoup.
--Encore une ��cole, se dit Romain; dr?le de boutique, on ne sait sur quel pied danser. Et comme il avait soif de faire son chemin, il se promit d'avoir toujours quelques cocardes de rechange dans sa poche. Il reprit tout haut:
--Me voici maintenant, Monsieur, tout �� votre disposition, et je puis aujourd'hui m��me, si vous voulez m'indiquer ma besogne...
--Oh! oh! fit M. Mareschal en riant avec bonhomie, le feu sacr�� du premier jour, je connais ?a; il se refroidira.
Caldas mit la main sur son coeur, comme pour prendre le ciel �� t��moin de la sinc��rit�� de son intention.
Le chef de division continua:
--��coutez, mon cher monsieur, on ne quitte pas ainsi ses occupations (car je ne vous fais pas l'injure de supposer que vous n'en eussiez pas), sans avoir quelques dispositions �� prendre, quelques transitions �� m��nager; je vous accorde huit jours de r��pit. Le service n'en souffrira pas. Rien ne presse en ce moment, et d'ici l��, je trouverai quelque occupation intelligente �� la mesure de vos capacit��s.
--C'est �� vous que j'aurai l'honneur de me repr��senter? demanda Romain.
--Inutile, r��pondit M. Mareschal, vous irez droit au bureau du Sommier. J'aviserai de votre arriv��e votre futur chef, M. Ganivet, un homme charmant, avec qui vous n'aurez que des rapports agr��ables. Sans adieu, Monsieur, et �� huitaine.
Romain sortit en se confondant en remerc?ments, convaincu qu'entre son chef de division et lui, c'en ��tait d��sormais �� la vie, �� la mort.

VIII
Caldas n'avait pas de transitions �� m��nager.
On quitte la boh��me comme une auberge mal fam��e, quand et comme on peut; on part sans dire adieu �� personne.
Les huit jours de r��pit que lui accordait M. Mareschal furent donc pour lui comme un cong�� anticip��. Il en profita pour visiter quelques amis de sa famille, de la race de ces correspondants-amateurs auxquels les gens de province recommandent instamment leurs fils �� surveiller, comme si �� Paris on avait le temps de se m��ler des affaires des autres.
Du jour o�� Romain s'��tait mis �� ��crire dans les journaux, il avait cess�� de voir ces excellents bourgeois, sachant bien qu'ils devaient le consid��rer comme un homme �� la mer.
En entrant dans l'administration, il revenait sur l'eau et il s'empressait d'aller leur faire part de son sauvetage. Peut-��tre l'id��e que quelqu'un d'entre eux ��crirait �� sa famille n'��tait-elle pas ��trang��re �� sa politesse.
Partout il fut bien re?u, et M. Blandureau, riche n��gociant qui professe pour la litt��rature l'estime qu'elle m��rite, le retint �� d?ner.
--Vous avez pris un sage parti, jeune homme, lui dit ce commer?ant �� cheval sur ses principes, en quittant un m��tier qui n'en est pas un. En embrassant la carri��re administrative, vous vous rattachez �� la soci��t��; vous devenez quelque chose.
--Pardon, interrompit Romain; dans la litt��rature j'aurais pu devenir quelqu'un.
--Et apr��s?... continua M. Blandureau; songez donc qu'aujourd'hui vous avez une position dans le monde. Et tenez, moi qui vous parle, j'aimerais mieux donner ma fille en mariage �� un sous-chef de minist��re qu'�� n'importe quel acad��micien. Ce sont les premiers de votre ��tat, et ils gagnent douze cents francs par an!
--Et puis ils sont si vieux! dit Caldas.
M. Blandureau aurait sans doute ajout�� des choses bien plus fortes encore, si Romain ne s'��tait esquiv�� pour courir au th��atre.
* * * * *
Ce soir-l�� il y avait premi��re repr��sentation aux Vari��t��s: toute la presse, grande et petite, ��tait dans la salle. C'��tait la seconde pi��ce d'un d��butant dont on attendait monts et merveilles.
A onze heures moins le quart, le critique Greluchet fit son apparition au caf�� du th��atre. Il promena son oeil flamboyant autour de la salle, cherchant un visage ami. N'en trouvant pas, il appela le gar?on par son petit nom, et se fit servir une chope. Le critique Greluchet, qu'on avait outrageusement refus�� au contr?le, ��tait all�� ��tudier son compte rendu au Casino-Cadet; parti furieux, il revenait presque gai, ayant recueilli deux mots m��chants sur la pi��ce nouvelle �� encadrer dans son feuilleton.
Boh��me incurable, depuis huit jours Greluchet avait vu la fin de sa derni��re pi��ce de cent sous, ce qui ne l'emp��chait pas d'entrer dans ce caf��, se fiant, pour payer sa consommation, �� la Providence qui d��j�� tant de fois a bien voulu acquitter ses notes.
Pour tuer le temps, il prit une feuille de th��atre et se mit �� ��tudier la distribution de la pi��ce.
D��j�� sa chope ��tait �� moiti�� vide, lorsque la porte du caf�� s'entrebailla discr��tement, et une t��te barbue apparut qui interrogeait l'horizon des consommateurs.
Greluchet reconnut cette t��te.
Ce n'��tait pas le messager du Seigneur, le banquier de
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