autour du salon des rangées de petits becs roses s'ouvrir, se tendre vers cet hame?on facile du sentiment. Pensez donc! Un po?te qui a de si belles moustaches, et qui croit à l'amour comme il croit en Dieu...
La femme du pépiniériste n'y résista pas. En trois séances elle fut vaincue. Seulement, comme il y avait au fond de cette nature élégiaque quelque chose d'honnête et de fier, elle ne voulut pas d'une faute mesquine. D'ailleurs, dans son Credo, le poète déclarait lui-même qu'il ne comprenait qu'une sorte d'adultère, celui qui marche la tête haute comme un défi à la loi et à la société. Prenant donc le _Credo de l'amour_ pour guide, la jeune femme s'évada brusquement du jardin d'Auteuil et vint se jeter dans les bras de son po?te.--?Je ne peux plus vivre avec cet homme! Emmène-moi.? En pareil cas, le mari s'appelle toujours cet homme, même quand il est pépiniériste.
Amaury eut un moment de stupeur. Comment diable s'imaginer qu'une petite mère de trente ans irait prendre au sérieux un po?me d'amour et le suivre au pied de la lettre? Pourtant il fit contre trop bonne fortune bon coeur, et comme dans son petit jardin d'Auteuil si bien abrité la dame s'était conservée fra?che et jolie, il l'enleva sans murmurer. Les premiers jours, ce fut charmant. On craignait les poursuites du mari. Il fallut se cacher sous des noms supposés, changer d'h?tel, habiter des quartiers invraisemblables, les faubourgs de Paris, les chemins de ceinture. Le soir, on sortait furtivement, on faisait des promenades sentimentales le long des fortifications. ? puissance du romanesque! Plus elle avait peur, plus il fallait de précautions, de stores, de voilettes abaissées, plus son po?te lui semblait grand. La nuit, ils ouvraient la petite fenêtre de leur chambre, et regardant les étoiles qui montaient par-dessus les fanaux du chemin de fer voisin, elle lui faisait dire et redire sa tirade:
Moi, je crois à l'amour comme je crois en Dieu.
Et c'était bon!...
Malheureusement cela ne dura pas. Le mari les laissa trop tranquilles. Que voulez-vous? Il était philosophe, cet homme. Sa femme une fois partie, il avait refermé la porte verte de son oasis et s'était paisiblement remis à soigner ses roses, en songeant avec bonheur que celles-là, du moins, tenant au sol par de longues racines, ne pourraient pas s'en aller de chez lui. Nos amoureux rassurés rentrèrent dans Paris, et tout à coup il sembla à la jeune femme qu'on lui avait changé son po?te. La fuite, les craintes d'être surpris, les alertes perpétuelles, toutes ces choses qui servaient sa passion n'existant plus, elle commen?a à comprendre, à voir clair. Du reste, à chaque instant, dans l'installation de leur petit ménage et ces mille détails bourgeois de la vie de tous les jours, l'homme avec qui elle vivait se faisait mieux conna?tre.
Le peu qu'il avait en lui de sentiments généreux, héro?ques ou délicats, il le délayait dans ses vers sans en rien garder pour sa consommation personnelle. Il était mesquin, égo?ste, surtout très-ladre, ce que l'amour ne pardonne pas. Puis il avait coupé ses moustaches, et ce déguisement lui allait mal. Quelle différence avec ce beau ténébreux frisé au petit fer qui lui était apparu un soir récitant son Credo entre deux candélabres! Maintenant, dans la retraite forcée qu'il subissait à cause d'elle, il se laissait aller à toutes ses manies, dont la plus grande était de se croire toujours malade. Dame! à force de poser au poitrinaire, on finit par se figurer qu'on l'est réellement. Le po?te Amaury était tisanier, s'enveloppait de papier Fayard, couvrait sa cheminée de fioles et de poudres. Pendant quelque temps la petite femme prit au sérieux son r?le de soeur grise. Le dévouement donnait au moins une excuse à sa faute, un but à sa vie. Mais elle se lassa vite. Malgré elle, dans la pièce étouffée où le po?te s'entourait de flanelle, elle pensait à son petit jardin tout parfumé, et le bon pépiniériste, vu de loin au milieu de ses massifs, de ses corbeilles, lui semblait simple, touchant, désintéressé, autant que l'autre était exigeant et égo?ste...
Au bout d'un mois elle aimait son mari, et elle l'aimait réellement, non pas d'une affection habitude, mais d'amour véritable. Un jour elle lui écrivit une longue lettre passionnée et repentante! Il ne répondait pas. Peut-être ne la trouvait-il pas encore assez punie. Alors elle envoya lettres sur lettres, s'humilia, supplia pour rentrer, disant qu'elle aimerait mieux mourir que de continuer à vivre avec cet homme. C'était au tour de l'amant de s'appeler ?cet homme.? Le rare, c'est qu'elle se cachait de lui pour écrire; car elle le croyait encore épris, et tout en demandant pardon à son mari, elle craignait l'exaltation de son amant.
?Jamais il ne me laissera partir?, se disait-elle.
Aussi, lorsqu'à force de prier elle eut obtenu son pardon et
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