celle
de Vladimir Petrovitch et tantôt celle de La Candeur; celle de Vladimir
marquait la plus farouche mauvaise humeur, et celle de La Candeur une
extraordinaire satisfaction. --A toi! disait l'un. --Non, c'est à toi!
répondait l'autre et puis il y avait un silence, et puis encore des
exclamations. Rouletabille se glissa dans sa culotte. Il voulait savoir ce
qui se passait à côté, et pourquoi ces deux hommes ne dormaient pas,
eux qui avaient affecté une telle fatigue. Sans faire de bruit et sans
éveiller Athanase, qui ronflait doucement, il sortit de sa tente et
s'approcha de celle de La Candeur et de Vladimir, qui laissait passer,
par les interstices de la toile mal jointe, des rais de lumière.
Rouletabille dénoua fort adroitement les ficelles qui rattachaient la
porte flottante et apparut tout à coup aux regards médusés du bon La
Candeur et du triste Vladimir. Rouletabille remarqua que La Candeur
était écarlate, tout en sueur et dans un état d'exaltation peu ordinaire,
tandis que Vladimir était fort pâle. --Ah ça, mais est-ce que vous vous
fichez du monde? souffla le reporter, vous jouez?... Il y avait, en effet,
entre les deux jeunes gens une petite table portative, et sur cette table
un jeu de cartes et un morceau de papier, sur lequel quelques notes
étaient écrites au crayon. Rouletabille bondit sur le jeu de cartes. Il leur
en avait déjà confisqué deux dès le début du voyage et il pensait bien
qu'ils n'avaient plus de cartes. Cette passion du jeu les empêchait de
prendre un repos nécessaire. --Vous jouez au lieu de dormir?... Vous
n'êtes pas enragés, dites?... Vous n'avez pas honte?... je vous l'ai
pourtant assez défendu! Dès le premier soir il a été entendu que je ne
verrais plus entre vos mains un jeu de cartes!... M'avez-vous juré que
vous ne joueriez plus, oui ou non?... --Rouletabille, ne te fâche pas,
émit La Candeur, conciliant, je vais te dire: nous avons essayé de
dormir, mais le sommeil n'est pas venu!... --Tas de menteurs! Vous ne
vous êtes même pas déshabillés et votre couchette n'est pas défaite!...
Mais vous n'aviez plus de cartes! Où donc avez-vous trouvé ce sale
jeu-là? Il est ignoble!... --C'est le sous-off qui accompagnait m'sieur
Athanase, murmura La Candeur en baissant la tête, qui l'a laissé tomber
de sa poche!... --Tu le lui as acheté, oui, bandit! ou Vladimir le lui a
volé! --Monsieur! monsieur! pour qui me prenez-vous?... --Et à quoi
jouiez-vous?... --Mais, fit La Candeur, à ce petit jeu russe dont je t'ai
parlé autrefois et qui est si amusant... --Et qu'est-ce que vous jouez? fit
le reporter en saisissant le papier qui était sur la table et sur lequel il lut:
«Bon pour cinq cents francs». Signé: «Vladimir Petrovitch». Il arracha
le billet et, furieux: --Tu es encore plus bête que je ne croyais, dit-il à
La Candeur... Que tu joues de l'argent contre de l'argent, passe encore,
mais contre la signature de Vladimir Petrovitch... --Je n'ai pas osé
«faire Charlemagne», expliqua La Candeur. --Je joue sur signature
parce qu'il m'a gagné tout mon argent, dit Vladimir qui n'avait point
une bonne mine. --Tu en avais beaucoup? --Demandez-le à La Candeur.
--Voilà... dit La Candeur en rougissant. Voilà comment les choses se
sont passées... Au commencement, c'est moi qui n'avais pas d'argent et
je savais que Vladimir en avait. C'est triste de voyager sans argent. J'ai
proposé à Vladimir de lui jouer mon épingle de cravate qui est le
dernier souvenir qui me reste de ma soeur morte en me maudissant.
--Pourquoi ta soeur t'a-t-elle maudit, La Candeur? --Parce que je m'étais
fait journaliste! Tu comprends que je ne tenais pas énormément à ce
souvenir-là. Je m'étais débarrassé de tous les autres. Je jugeais
l'occasion bonne pour mon épingle de cravate. Mais ce sera pour une
autre fois, car comme tu le vois, je ne l'ai pas perdue! --Et avec elle tu
as gagné tout l'argent de Vladimir? Dis-moi, combien... --Je vais te
dire... je vais te dire... on a commencé d'abord par jouer petit jeu... tout
petit jeu... Mon épingle vaut bien soixante-quinze francs... Vladimir me
l'a jouée contre vingt-cinq!... ça n'était guère... le malheur, pour
Vladimir, est que de vingt-cinq, en cinquante, en cent... (car Vladimir a
le tort de poursuivre son argent, je le lui ai assez dit) je lui ai gagné tout
ce qu'il avait dans sa poche... Maintenant, comme je ne suis pas un
mufle, je lui joue des billets qu'il me fait. A ce qu'il paraît qu'il a encore
de l'argent à toucher sur l'invention de sa cuirasse! --La Candeur, tu vas
me dire combien tu as gagné à Vladimir! --Qu'est-ce que ça peut te
faire? --Cela me fait que j'ignore d'où vient cet argent-là... --Puisqu'il
vient de la cuirasse!... [Voir _Le Château Noir_]. --Assez, combien?...
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