le premier épisode de _Rouletabille à la guerre: Le Château
Noir._] que Marko le Valaque était un journaliste d'occasion, comme il
en surgit toujours dans les moments troubles; fort méprisé--avec
raison--des professionnels, ayant fait tous les métiers et ayant montré
dans chacun une bien petite conscience. Son rôle, dans le moment, lui
paraissait immense. Il ne manquait point en effet d'importance. En
attendant l'arrivée de l'envoyé spécial de _la Nouvelle Presse_ de Paris,
grand quotidien dont le tirage rivalisait avec celui de _l'Époque_, il
restait le maître d'expédier les télégrammes les plus saugrenus à une
feuille qui était lue dans le monde entier. Connaissant la réputation de
Rouletabille et ayant reçu de Paris des instructions pour ne point se
laisser distancer par le reporter de _l'Époque_, il n'avait point manqué,
à Sofia, de surveiller celui-ci et n'avait pas cessé d'inventer des bruits
sensationnels, des nouvelles de la dernière heure qui bouleversaient la
Bourse. Il était la bête noire de Vladimir Petrovitch, qui l'accusait de
manquer de moralité! --Fiche-nous la paix, avec ton Marko! gronda La
Candeur; on dirait que tu ne penses qu'à lui... --Croyez-vous toujours
qu'il nous a suivis dans l'Istrandja?... demanda Rouletabille sur un ton
assez ironique. --Monsieur, vous avez tort de vous moquer de moi!
répliqua Vladimir. --Quand je pense, reprit La Candeur, que, dans les
premiers jours de notre voyage, Vladimir regardait à chaque instant
derrière lui pour voir s'il n'apercevait pas à l'horizon le nez de Marko!
Et il se mit à rire. --Ne «blague» pas!... protesta Vladimir, je t'en
supplie, ne «blague» pas... Tu ne sais pas ce que peut entreprendre un
Valaque qui s'est fait journaliste!... --Enfin, qu'est-ce qu'il pourrait nous
faire? --Est-ce qu'on sait? je vous assure que le dernier soir qui a
précédé notre arrivée dans le pays de Gaulow, quand nous avons eu
cette vision d'une ombre qui s'enfuyait de la tente de La Candeur, et que
La Candeur s'est écrié qu'on lui avait volé sa serviette en maroquin,
j'aurais mis ma main à brûler que nous avions affaire à Marko!...
--Cette ombre, répliqua La Candeur sur un ton assez méprisant, n'a
jamais existé que dans l'imagination de Vladimir... et quant à ma
serviette que je croyais avoir mise dans ma cantine, je l'ai trouvée au
pied de mon lit, où je l'avais certainement déposée moi-même avant de
me coucher... --Et mes articles étaient toujours dedans? demanda
Rouletabille en manière de plaisanterie. --Oui, oui, Rouletabille, tes
articles sont là! --Remettez-vous donc, Vladimir Petrovitch!... et cessez
de médire de la Valachie... --Ah! monsieur, si vous connaissiez
Marko!... Je vous dis, je vous répète qu'il est capable de tout... Rien ne
m'étonnerait de lui, c'est un type qui vendrait son père et sa mère pour
un morceau de pain et qui a eu de vilaines histoires avec les femmes!...
Je vous affirme, monsieur, que c'est un garçon qui n'a aucune
moralité!... --Au lit, au lit tout le monde! c'est à moi la garde
commanda Rouletabille. Et il prit la garde. Aucun bruit ne venait des
tentes. La campagne paraissait abandonnée. De-ci, de-là, sur de
lointaines cimes des feux apparaissaient puis disparaissaient presque
aussitôt. Rouletabille, le menton sur le canon de sa carabine, regardait
le mur de toile derrière lequel reposait Ivana. Reposait-elle?
Rêvait-elle?... A qui?... Énigme!... II VLADIMIR RACONTE UNE
ÉTRANGE HISTOIRE A ROULETABILLE Relevé de sa garde par
Tondor (le domestique transylvain de Vladimir, le seul qui restât à la
petite troupe depuis la mort héroïque de Modeste et du
_Katerdjibaschi_), Rouletabille rentra dans sa tente, qu'il partageait
avec Athanase Khetew. Le Bulgare dormait profondément, enveloppé
dans son manteau qui lui servait de couverture. A la lueur de la bougie
plantée dans le goulot d'une bouteille, Rouletabille considéra assez
longtemps ce rude visage. Pendant le sommeil, il était vraiment apaisé,
c'était là une figure d'honnête homme qui ne reflétait aucun remords et
qui se reposait de tous les tourments des jours mauvais, lesquels depuis
plus de dix ans avaient creusé leurs sillons terribles dans cette chair
encore jeune. «Il est digne d'être aimé!» se dit Rouletabille, mais il
pensa qu'Ivana ne l'aimait pas et que c'était une traîtresse qui avait
trompé tout le monde. Là-dessus, il se déshabilla, fit ses ablutions
comme chez lui, éteignit le fourneau à pétrole et se glissa sous les
couvertures de son lit de camp. A tout hasard, sur la tablette, il avait
mis une carabine toute chargée à portée de sa main. Il s'endormit en
pensant à sainte Sophie et il rêva qu'il se noyait dans une cataracte
[Voir Le Château Noir.]. Depuis une heure, il somnolait ainsi quand il
se dressa tout à coup sur son séant, l'oreille au guet. Il entendait,
derrière sa toile, à quelques pas de là, des voix, un chuchotement rapide,
puis de sourdes exclamations; et il reconnut ces voix: tantôt c'était
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