qu'un autre médecin est venu interroger les battements de son
pouls. Il y a le grand et le petit lever; la chambre royale est pleine de
ceux qui, en vertu de leur charge ou de leur dignité, ont le droit de
contribuer à la toilette du roi fétiche.
Tout d'abord, c'est la perruque, mais le roi la met derrière ses rideaux,
nul ne doit voir à nu le chef du souverain, encore y a-t-il plusieurs
perruques: celle du grand lever n'est pas celle du petit; il y a la perruque
des jours ordinaires et celle des jours de gala. La cérémonie de la
chemise vient ensuite, c'est d'habitude un prince du sang qui la donne.
Puis, la cérémonie des bas, des souliers et du reste. Les serviteurs de la
main droite ne sont pas ceux de la main gauche. Il y a un gentilhomme
pour le chapeau, un autre pour l'épée, un troisième pour les ordres que
le roi porte sous son habit.
Chaque fonction de la machine royale, chaque besoin, chaque exigence
de sa nature est le prétexte d'une pompe tout aussi imposante; c'est en
cadence que le roi marche, qu'il boit, qu'il mange et qu'il prend
médecine. La cérémonie de Molière, si burlesque, est une réalité.
Et afin qu'on ne puisse douter de ces faits, ils sont consignés en vingt
endroits divers. Dangeau passe sa vie à écrire les faits et gestes du roi,
il est l'historien de l'antichambre et des arrière-cabinets, mais il n'en est
que plus précieux pour qui veut essayer de reconstituer cette cour, «la
première du monde;» par lui, nous savons à une seconde près ce que
faisait Louis XIV, il nous a légué les noms de ces courtisans heureux
qui chaque soir recevaient le bougeoir des mains du roi.
Un autre monument précieux est le journal des médecins, longue
histoire de la santé et de la maladie du roi, livre admirable, dit M.
Michelet, dont le positif intrépide n'atténue pas l'adoration. Le roi, de
page en page, est chanté et purgé.
Dans la vie de Louis XIV, les purges jouent un grand rôle. Elles
n'avaient pas été seulement le prétexte de l'étiquette des jours de
médecine qui rompt agréablement la monotonie du cérémonial
quotidien, elles étaient de la plus grande utilité. Prodigieux mangeur, le
roi avait souvent besoin de venir en aide à la nature.
Cet appétit du roi de France est une des grandes stupéfactions de la
princesse Palatine, elle en parle dix fois dans ses Mémoires. «Le roi
consommait aisément, dans un seul repas, écrit-elle, quatre assiettes de
soupes diverses, un faisan entier, une perdrix, une assiette de salade,
deux tranches de jambon, du mouton au jus et à l'ail, une assiette de
pâtisserie, et au dessert, une profusion d'oeufs durs et des fruits de toute
qualité.»
Après de tels repas, largement arrosés, il fallait au roi le grand air et
l'exercice, encore la digestion n'était-elle pas toujours facile, et dans les
réactions qui suivent souvent, un illustre historien croit voir l'origine de
la «politique à outrance» des dernières années de Louis XIV.
Et maintenant représentez-vous Louis XIV, lorsque, entre une triple
haie de courtisans, il descend le grand escalier de Versailles. À voir, sur
son passage l'admiration passionnée de tous ces nobles gentilshommes,
ne devine-t-on pas que c'est là le maître qui tient la corne d'abondance,
l'homme qui a pris le soleil pour emblème?
«Sa taille n'est pas au-dessus de la moyenne, il a les mouvements
nobles et gracieux, la démarche pleine de majesté. Il avance avec grâce
une jambe fine et merveilleusement tournée, sa figure impose le respect
et l'admiration, enfin son regard est fier, terrible lorsqu'il est irrité, plein
de bienveillance lorsqu'il est satisfait.»
Tel est le portrait que nous a laissé de Louis XIV un de ses
contemporains, ce portrait est daté de l'époque la plus brillante; mais
l'auteur oublie de nous dire que, toujours fidèle à son système, le roi,
sans doute pour imprimer à sa personne une majesté plus grande, avait
trouvé bon de se hausser sur d'énormes talons et de s'allonger d'une
prodigieuse perruque.
Nous avons, au reste, plus de cent portraits de Louis XIV. La Bruyère
dit que «son visage remplissait la curiosité des peuples,» et
Saint-Simon, que «sa taille, son port, sa beauté, sa grande mine, le
firent distinguer jusqu'à sa mort comme le roi des abeilles.»
«Dans quelqu'état obscur que le ciel l'eût fait naître, Le monde en le
voyant, eût reconnu son maître.»
Que sont devenues cependant toutes les splendeurs du «grand roi?»
Que reste-t-il de toute cette fantasmagorie qui éblouit un siècle?
Versailles est désert aujourd'hui, morne et triste. Vingt ouvriers
travaillent à la journée pour arracher l'herbe qui croît drue entre les
pavés; l'eau croupit dans les réservoirs, les statues grelottent sur leurs
piédestaux rongés de mousse.
De loin, cet
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