Les cotillons célèbres | Page 8

Emile Gaboriau

laissa éclater sa joie. Isabelle de Lorraine, au contraire, témoigna un
violent dépit; elle hésitait, disait-elle, entre deux partis: attendre le
rétablissement de sa fille d'honneur ou partir sans elle. Il fallait
cependant prendre une décision. Isabelle demanda une audience au roi,
et lui fit observer que si elle tardait davantage à se mettre en route, elle
serait probablement arrêtée par les neiges; d'un autre côté, elle hésitait
beaucoup à abandonner une jeune fille si belle, si aimable, et qui lui
avait été confiée.
Un mot de Charles VII arrangea tout. Il fut convenu qu'Agnès Sorel
resterait à la cour, sous la surveillance de la reine Marie d'Anjou, et
Isabelle de Lorraine, ayant obtenu la grâce qu'elle sollicitait, fit ses
préparatifs de départ et ne tarda pas à quitter Chinon.
Voilà donc Agnès Sorel seule à la cour de France. Elle était tombée
malade subitement, son rétablissement fut tout aussi rapide, le roi ne
laissa même pas l'indisposition durer ce qu'il fallait pour la justifier. A
peine rétablie, Agnès Sorel fut attachée à la reine en qualité de fille
d'honneur. Marie d'Anjou se souvenait-elle des recommandations
d'Isabelle de Lorraine ou obéissait-elle à une inspiration du roi, c'est ce
qu'il est impossible de décider, bien que la suite des événements donne
à penser qu'elle agit véritablement de son propre mouvement....
Agnès Sorel avait environ vingt-deux ans à cette époque (1431). Elle
était fille d'un gentilhomme longtemps attaché à la Maison de Clermont,
du nom de Sorelle, Soreau ou _Surel_[3], seigneur de Saint-Géran, et
de Catherine de Maignelais.

[Note 3: Les armes parlantes de cette famille étaient un sureau de
sinople en champ d'or.]
Née vers 1409, au village de Fromenteau, dont elle portait le nom, elle
perdit jeune encore son père et sa mère, et fut confiée aux soins d'une
tante maternelle, la dame de Maignelais.
«Agnès, dès l'âge le plus tendre, était, au dire de tous, un véritable
miracle de beauté, les paysans se mettaient sur le seuil de leurs portes
pour la voir passer lorsqu'elle traversait quelque village, tantôt à pied,
tantôt montée sur un beau cheval alezan. Elle n'avait d'autre prestige
alors que celui de sa taille charmante et de son admirable figure, et
cependant on lui donnait déjà un surnom que devaient confirmer, plus
tard, les Seigneurs de la cour de France; les naïfs habitants de la
Lorraine ne l'appelaient jamais que la reine de beauté.»
Bientôt, aux dons de la nature, elle joignit les avantages d'une
éducation soignée, chose si rare à cette époque, et tous ceux qui
l'entendaient causer se retiraient «esbahis de son esprit et de son
merveilleux enjouement.»
--Nous ne sommes point en peine de la fortune d'Agnès, disait alors la
dame de Maignelais, sa tante; elle a d'esprit et de beauté de quoi faire la
fortune de trois familles.
Mais tous ces avantages qui émerveillaient chacun, tournèrent contre la
jeune orpheline. La dame de Maignelais avait une fille, nommée
Antoinette qui, bien inférieure à Agnès, sous tous les rapports, ne tarda
pas à en devenir jalouse; dès lors le séjour de cette maison, jusque là si
paisible, devint insupportable.
Impuissante à défendre sa nièce contre sa propre fille, madame de
Maignelais ne songea plus qu'à éloigner la _reine de beauté_. Une
occasion ne tarda pas à se présenter et l'orpheline, à peine âgée de
quinze ans, repoussée par ses protecteurs naturels, dut se résigner à
accepter la position de demoiselle d'honneur près d'Isabelle de Lorraine,
celle-là même que nous venons de voir l'abandonner à la cour de
France, à la merci de l'amour du roi.

Jeune, belle, spirituelle, protégée par la reine, aimée du roi, Agnès
Sorel ne tarda pas à devenir l'âme de la petite cour de France. Charles
VII n'avait eu jusqu'alors que des amours vulgaires; sa passion pour une
femme supérieure ressemblait fort à un culte; il eût volontiers proclamé
à la face du monde la dame de ses pensées et rompu des lances en son
honneur, mais, douée et modeste autant que belle, Agnès ne souhaitait
que le mystère.
--A quoi bon, disait-elle, donner de l'éclat à une faute?
Elle disait encore au roi:
--Je vous aimerai, Sire et de toute mon âme, et jamais je ne cesserai de
vous aimer; si cependant on venait à connaître ce qui se passe, pleine
de confusion, je m'irais cacher au fond de la campagne la plus déserte.
Si bien que, durant longtemps encore, la liaison d'Agnès et du roi
demeura enveloppée d'un mystère, assez transparent pourtant pour ne
tromper personne. Malheureusement pour le secret de ses amours,
Agnès ne sut point assez repousser les présents incessants de son
amant.
Prodigue, comme tous les princes ruinés, Charles VII avait la main
toujours ouverte, surtout pour sa belle et douce amie; chaque jour
quelque nouvelle marque de munificence décelait son grand amour; les
joyaux
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