succédaient aux parures, les maisons aux terres, les seigneuries
aux châteaux. Si bien que les courtisans accusaient Agnès Sorel
d'avidité et d'avarice.
--Cette douce colombe ne serait-elle point une pie effrontée? disait un
jour le bâtard de Dunois qui avait gardé son franc parler.
Ce propos, véritablement injuste, ne tarda pas à être rapporté à la tendre
Agnès. Ses beaux yeux se mouillèrent de larmes et, tout éplorée, elle
courut se jeter aux pieds du roi....
--Reprenez, mon cher Sire, lui dit-elle, tous les présents dont vous
m'avez enrichie, et permettez-moi de quitter cette cour méchante.
Charles VII eut toutes les peines imaginables à calmer son amie, et
cependant il était bien plus irrité qu'elle. Mais comment la venger?
Châtier Dunois, il n'y fallait pas penser; un châtiment n'eût fait
qu'accroître la jalousie et la haine. Est-il d'ailleurs un roi si absolu que
jamais il ait pu faire taire les méchants propos de sa cour?
Ne pouvant imposer silence aux contemporains, Charles VII espéra
tromper l'histoire. Il manda Jean Chartier, son historiographe, et lui
ordonna d'employer tout son talent à démentir les propos injurieux qui
«entachaient l'honneur» de la belle Agnès.
Jean Chartier promit d'obéir, et c'est pour tenir sa parole, sans doute,
qu'il écrivit les lignes suivantes qui n'ont pu abuser la postérité:
«Or, j'ai trouvé, tant par le récit des chevaliers, écuyers, conseillers,
physiciens ou médecins et chirurgiens, comme par le rapport d'autres
de divers états et amenés par serment, comme à mon office appartient,
afin d'ôter et lever l'abus du peuple,... que, pendant les cinq ans que la
dite demoiselle a demeuré avec la reine, oncques le roi ne délaissa de
coucher avec sa femme, dont il a eu quantité de beaux enfants,... que,
quand le roi allait voir les dames et damoiselles, même en l'absence de
la reine, ou qu'icelle belle Agnès le venait voir, il y avait toujours
grande quantité de gens présents, qui oncques ne la virent toucher par le
roi, au-dessous du menton... et que, si aucune chose... elle a commise
avec le roi dont on ne se soit pu apercevoir, cela aurait été fait
très-cauteleusement et en cachette, elle étant encore au service de la
reine (Marie d'Anjou).»
«Jean Chartier nous la baille belle,» dit un historien qui écrivait
quelques années plus tard, «que prouvent les enfants que le roi avait eus
avec la reine? Quant à ces mots de très-cauteleusement et en cachette,
c'est là tout au plus la stricte décence.»
La postérité a partagé l'opinion du railleur de Jean Chartier; il est de fait
que le bon et naïf historiographe eût pu trouver, pour défendre la belle
Agnès, quelques raisons plus ingénieuses et plus concluantes, surtout
lorsqu'il s'agissait de démentir tout un siècle. Mille témoignages, en
effet, sculptures, poèmes, mémoires, légendes, retracent les amours de
Charles VII et d'Agnès Sorel. Mais si le nom de la «dame de beauté» ne
nous est point parvenu pur de toute tache, au moins doit-on absoudre,
en raison de son oeuvre, cette douce amie du «roi de Bourges.»
En pleine Restauration, Béranger, qui cherchait à se faire arme de tout
contre l'Anglomanie, donna à Agnès Sorel une dernière consécration, le
jour où il fit paraître cette charmante chanson:
Je vais combattre, Agnès l'ordonne!
Malheureusement, en 1432, nul ne se doutait encore qu'Agnès Sorel
faisait tous ses efforts pour réveiller une noble ambition dans le coeur
de son royal amant. Tout entier à son amour, Charles semblait avoir
oublié qu'il était le roi de France; que lui importaient désormais Anglais
et Bourguignons! Ils pouvaient sans obstacle dévaster les provinces,
démanteler les villes, faire manger le blé en herbe à leurs chevaux. Il
régnait, lui, sur le coeur de «la dame de beauté» et cela suffisait à son
bonheur.
Vainement Agnès le conjurait de se remettre à la tête de tous ses braves
compagnons d'armes, qui jadis aux côtés de Jeanne Darc versaient leur
sang sur les champs de bataille.
--Eh! ma mie, répondit-il, avez-vous donc si peu de souci de mon
amour que vous veuilliez m'éloigner de vos beaux yeux.
Que répondre à ces douces paroles? «Gloire, devoir,» disait Agnès.
«Plaisir, amour,» disait Charles VII.
Mais les courtisans et les peuples ignoraient toutes ces tentatives
inutiles, et hautement ils murmuraient. On accusait Agnès de l'indigne
inaction du prince; on maudissait le jour où, à la suite d'Isabelle de
Lorraine, elle était venue à la cour. On la comparait à Dalila, énervant
entre ses bras un nouveau Samson; les plus malveillants allaient jusqu'à
dire que sans nul doute elle avait été envoyée par les ennemis de la
France pour ensorceler et séduire le roi.
Le bruit de cette indignation arriva enfin aux oreilles d'Agnès; elle
comprit que c'en était fait de sa réputation et de celle de son amant si
cette situation se prolongeait; à tout prix elle résolut

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