l'excès, il avait des éclairs d'indignation et de
courage, mais fréquentes étaient ses heures d'abattement et de désespoir.
Un instant la voix inspirée de Jeanne Darc avait réveillé en lui le
sentiment du devoir, mais cette voix éteinte, son caractère avait repris
le dessus, et il semblait épuisé par les efforts d'énergie qu'il avait dû
faire. Si bien que l'oeuvre de la Pucelle menaçait de devenir inutile,
lorsque parut Agnès Sorel.
Le trône, sous Charles VII, a été sauvé par deux femmes, tel est le cri
de l'histoire.
L'une est la vierge inspirée, qui, son miraculeux étendard à la main,
conduisait elle-même les soldats à la bataille; l'autre est la maîtresse du
roi, la dame de beauté
Qui toujours songeant à la gloire Avant de songer à l'amour,
devint la bonne fée de son amant et contribua à lui faire mériter ce
surnom de «Victorieux» que lui décernèrent ses contemporains.
La France doit tant aux femmes, disait le tendre et discret Fontenelle,
que pour les Français la galanterie est un véritable devoir de
reconnaissance.
C'était vers la fin du mois d'octobre 1431; cinq mois s'étaient écoulés
depuis la mort de Jeanne Darc. La cour errante du roi de France avait
pris ses quartiers d'hiver au château de Chinon. Charles VII
affectionnait tout particulièrement cette résidence bâtie au sommet d'un
côteau au milieu de l'un des plus ravissants paysages de ce beau pays
de Touraine.
Charles VII n'était, pas encore «le victorieux,» il n'était que le «roi de
Bourges,» surnom que lui avaient donné ses ennemis.
Les Anglais, avec leurs croix rouges, Voyant lors sa confusion,
L'appelaient le roi de Bourges, Par forme de dérision.
Les affaires, à cette époque, allaient plus mal que jamais, les finances
étaient complètement épuisées; et, de tous côtés, on annonçait ou l'on
prévoyait des désastres; on comprend dès lors la mortelle tristesse de
cette petite cour.
C'est donc avec un plaisir infini que Charles VII apprit l'arrivée à
Chinon d'Isabelle de Lorraine, femme de René d'Anjou; il espérait que
cette visite ferait quelque diversion à la monotonie de ses journées.
Isabelle de Lorraine, l'une des princesses les plus distinguées de son
temps, venait à la cour de France, pour y solliciter la liberté de son mari
fait prisonnier à la bataille de Bulgneville. Elle avait à plaider une cause
difficile, puis elle comptait pour réussir, sur son adresse et sur les beaux
yeux d'une de ses filles d'honneur, Agnès Sorel, que l'on appelait alors
la demoiselle de Fromenteau.
Les espérances d'Isabelle ne furent pas trompées, toute la cour de
Chinon n'eut plus bientôt d'yeux que pour la belle Tourangelle, et, plus
que tous les autres, le roi la comblait de soins et d'attentions.
Agnès Sorel était, il faut le dire, dans tout l'éclat de son admirable
beauté, et voici le portrait que trace d'elle un de ses contemporains,
c'est-à-dire de ses admirateurs:
«C'était un teint de lis et de roses, des yeux où la vivacité était tempérée
par tout ce que l'air de douceur a de plus séduisant, une bouche que les
grâces avaient formée; tout cela était accompagné d'une taille libre et
dégagée, et relevé d'un esprit aisé, amusant, et d'un entretien dont la
gaîté et le tour agréable n'excluaient ni la justesse, ni la solidité.»
La femme de René d'Anjou, certaine désormais de l'influence d'Agnès
sur le coeur du roi, comprit que sa cause était gagnée; cependant
Charles hésitait à se prononcer. C'est qu'il savait qu'une fois la liberté
de son mari assurée, Isabelle partirait pour la Sicile, où
l'accompagnerait sa belle fille d'honneur, et il ne se sentait plus la force
de se séparer d'Agnès.
Isabelle avait, depuis longtemps déjà, pénétré le motif des hésitations
du roi de France, mais il ne lui appartenait pas de les faire cesser. Elle
attendit, décidée à profiter de la première occasion qui se présenterait.
Elle n'eut pas longtemps à attendre.
Heureusement pour la liberté de René d'Anjou, les princes et les rois
vont fort vite en amour, et Agnès avait été touchée de la grande passion
de Charles; elle se sentit prise de tendresse pour ce monarque que tout
abandonnait, et dès ce moment elle prit la résolution de céder. Peut-être
fut-elle tentée par la grandeur de la tâche imposée à l'amie de ce roi si
faible, et conçut-elle dès ce moment la pensée d'user de toute son
influence pour en faire un héros.
Agnès consentit donc à se rendre aux voeux du roi, à seconder les
secrets désirs d'Isabelle. Elle tomba malade, subitement, et, dès les
premiers jours, sa maladie présenta un caractère si grave que les
médecins, appelés par le roi, déclarèrent que la jeune fille ne pouvait
entreprendre un long voyage, sans danger pour ses jours.
Cette déclaration ne trompait certainement personne; mais elle sauvait
les apparences. Charles VII, peu habitué à dissimuler ses impressions,

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