pour l'arracher des mains de ses ennemis.
Le supplice de Jeanne Darc fit horreur aux Anglais eux-mêmes, et l'un
de leurs généraux ne put s'empêcher, lorsqu'on lui en apprit les détails,
de s'écrier d'une voix indignée:
--Ah! nous venons de commettre là un exécrable forfait! il nous portera
malheur.
La France apprit avec épouvante l'horrible martyre de Jeanne Darc.
Seul, peut-être, de tout son royaume, Charles VII ne sembla point ému.
En douze mois il avait eu le temps d'oublier celle qui avait, à Reims,
replacé la couronne sur sa tête. Pendant un an qu'avait duré son illégale
captivité, il n'avait rien entrepris pour l'arracher à l'horreur de la prison;
il ne tenta rien pour venger sa mort.
Le roi de France était retombé dans son ancienne apathie, comme
autrefois il ne songeait qu'aux amusements frivoles. Tandis que les
Anglais s'acharnaient à détruire l'oeuvre de la Pucelle, Charles VII
dissipait ses journées en parties de chasse et passait les nuits à exécuter
des ballets de sa composition.
Ses capitaines, braves compagnons de Jeanne, murmuraient hautement;
mais le roi ne voulait pas les entendre; il n'avait d'oreilles que pour les
courtisans assez vils pour flatter tous ses goûts. Que de fois cependant
il eut à rougir de son inaction!
Un matin, Xaintrailles et La Hire étaient venus trouver le roi afin de
tenir conseil; les événements se pressaient avec une inquiétante rapidité;
on le trouva, entouré de quelques familiers, fort occupé d'un ballet
qu'on devait donner le soir même. Charles VII, bien que fort contrarié
de la visite matinale des deux vaillants hommes d'armes, voulut faire
bonne contenance.
--Eh bien! mes amis, leur dit-il, que pensez-vous de cette danse? Ne
trouvé-je pas, malgré l'Anglais, moyen de me divertir?
--Il est vrai, Sire, répondit froidement La Hire, et «oncques on n'a vu ny
oüy qu'aucun prince perdist si gaiement son estat.»
Charles VII tourna brusquement le dos au censeur incommode; il était
de ceux que la vérité blesse; sensible à la gloire, ambitieux, il désirait le
«renom de grand capitaine et souhaitait de tout son coeur rentrer dans
le domaine de ses pères,» mais l'énergie lui manquait et nul n'avait sur
lui assez d'ascendant pour l'arracher aux obscurs plaisirs de sa petite
cour.
--Vous êtes heureux, Sire, de savoir vous contenter de si peu, lui disait
dans une autre occasion un de ses meilleurs amis.
Le roi de France, en effet, avait grandement besoin d'être philosophe;
tous les jours n'étaient pas jours de fête à sa cour; l'argent manquait
souvent le lendemain des «festoyements,» il fallait alors recourir aux
expédients. Toutes les chroniques de l'époque parlent de cet incroyable
dénûment; le roi manquait des choses les plus nécessaires, ses écuyers
n'avaient rien à servir sur sa table, ses fournisseurs refusaient de lui
faire crédit.
Voici ce que raconte Martial d'Auvergne.
Un jour que La Hire et Pothon Le vinrent voir pour festoyment, N'avoit
qu'une queue de mouton Et deux poulets tant seulement. Las! cela est
bien au rebours De ces viandes délicieuses, Et de ces mets qu'on a tous
jours En dépenses trop somptueuses.
Une autre fois, Charles VII, qui se trouvait alors à Bourges, vint à
manquer de chaussures; il fit mander un maître cordonnier de la ville.
--Maître, lui dit-il, prends moi la mesure d'une paire de souliers.
L'homme obéit.
--Maintenant, reprit le roi, tu peux te retirer, j'entends que ces souliers
soient faits sans délai.
Et comme l'homme ne bougeait pas.
--Ne m'as-tu donc pas entendu? ajouta Charles VII.
--Pardonnez-moi, Sire, dit alors le maître cordonnier, seulement il faut
être juste en affaires.
--Certainement, mais que veux-tu dire?
--Rien, sinon qu'il m'est impossible de faire les souliers dont je viens de
prendre la mesure.
--Et pourquoi?
--Je n'ai point l'habitude, Sire, de faire crédit aux gens insolvables, et
depuis longtemps ceux qui fournissent au roi ne sont pas payés....
Charles VII entra dans une furieuse colère, mais le maître cordonnier
n'avait rien dit qui ne fût l'exacte vérité; comment se révolter contre un
fait?
Le soir même, le roi se plaignait amèrement de l'insolence de cet
homme.
--Hélas, Sire, répondit un de ses familiers, il faut bien vous résoudre à
n'avoir plus crédit à Bourges, «puisque vous laissez les Anglais vous
prendre tout.»
A ces moments d'humiliants déboires «la rougeur d'une noble
vergogne» colorait le front du prince; il maudissait son apathie et jurait
de reconquérir son royaume, il demandait ses armes et voulait, à
l'instant même, courir sus à l'Anglais, puis il allait s'enfermer seul dans
une des pièces les plus sombres de son château et répandait des larmes
amères. Mais sa colère se dissipait aussi vite qu'elle était venue, le
lendemain il avait tout oublié et de rechef ne pensait qu'à trouver
«expédients de divertissements et de fêtes.»
Tel était le caractère de ce prince, faible, nonchalant, mobile.
Impressionnable à

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