Les compagnons de Jéhu | Page 4

Alexandre Dumas
dire à la suite des autres, c'était la
destruction des Templiers.
Outre la promesse et le serment faits sur le Corpus Dominici, Bertrand
de Got donna pour otages son frère et deux de ses neveux.
Le roi jura, de son côté, qu'il le ferait élire pape.

Cette scène, se passant dans le carrefour d'une forêt, au milieu des
ténèbres, ressemblait bien plus à une évocation entre un magicien et un
démon, qu'à un engagement pris entre un roi et un pape.
Aussi, le couronnement du roi, qui eut lieu quelque temps après à Lyon,
et qui commençait la captivité de l'Église, parut-il peu agréable à Dieu.
Au moment où le cortège royal passait, un mur chargé de spectateurs
s'écroula, blessa le roi et tua le duc de Bretagne.
Le pape fut renversé, la tiare roula dans la boue.
Bertrand de Got fut élu pape sous le nom de Clément V.
Clément V paya tout ce qu'avait promis Bertrand de Got.
Philippe fut innocenté, la communion fut rendue à lui et aux siens, la
pourpre remonta aux épaules des Colonna, l'Église fut obligée de payer
les guerres de Flandre et la croisade de Philippe de Valois contre
l'empire grec. La mémoire du pape Boniface VIII fut, sinon détruite et
annulée, du moins flétrie; les murailles du Temple furent rasées et les
Templiers brûlés sur le terre-plein du pont Neuf.
Tous ces édits -- cela ne s'appelait plus des bulles, du moment où c'était
le pouvoir temporel qui dictait -- tous ces édits étaient datés d'Avignon.
Philippe le Bel fut le plus riche des rois de la monarchie française; il
avait un trésor inépuisable: c'était son pape. Il l’avait acheté, il s'en
servait, il le mettait au pressoir, et, comme d'un pressoir coulent le cidre
et le vin, de ce pape écrasé, coulait l'or.
Le pontificat, souffleté par Colonna dans la personne de Boniface VIII,
abdiquait l’empire du monde dans celle de Clément V.
Nous avons dit comment le roi du sang et le pape de l'or étaient venus.
On sait comment ils s'en allèrent.
Jacques de Molay, du haut de son bûcher, les avait ajournés tous deux à

un an pour comparaître devant Dieu. H twn gerwn oibullia, dit
Aristophane: Les moribonds chenus ont l'esprit de la sibylle.
Clément V partit le premier; il avait vu en songe son palais incendié.
«À partir de ce moment, dit Baluze, il devint triste et ne dura guère.»
Sept mois après, ce fut le tour de Philippe; les uns le font mourir à la
chasse, renversé par un sanglier, Dante est du nombre de ceux-là.
«Celui, dit-il, qui a été vu près de la Seine falsifiant les monnaies,
mourra d'un coup de dent de sanglier.»
Mais Guillaume de Nangis fait au roi faux-monnayeur une mort bien
autrement providentielle.
«Miné par une maladie inconnue aux médecins, Philippe s'éteignit,
dit-il, au grand étonnement de tout le monde, sans que son pouls ni son
urine révélassent ni la cause de la maladie ni l'imminence du péril.»
Le roi désordre, le roi vacarme, Louis X, dit le Hutin, succède à son
père Philippe le Bel; Jean XXII, à Clément V.
Avignon devint alors bien véritablement une seconde Rome, Jean XXII
et Clément VI la sacrèrent reine du luxe. Les moeurs du temps en firent
la reine de la débauche et de la mollesse. À la place de ses tours,
abattues par Romain de Saint-Ange, Hernandez de Héredi, grand maître
de Saint-Jean de Jérusalem, lui noua autour de la taille une ceinture de
murailles. Elle eut des moines dissolus, qui transformèrent l’enceinte
bénie des couvents en lieux de débauche et de luxure; elle eut de belles
courtisanes qui arrachèrent les diamants de la tiare pour s'en faire des
bracelets et des colliers; enfin, elle eut les échos de Vaucluse, qui lui
renvoyèrent les molles et mélodieuses chansons de Pétrarque.
Cela dura jusqu'à ce que le roi Charles V, qui était un prince sage et
religieux, ayant résolu de faire cesser ce scandale, envoya le maréchal
de Boucicaut pour chasser d'Avignon l'antipape Benoît XIII; mais, à la
vue des soldats du roi de France, celui-ci se souvint qu'avant d'être pape
sous le nom de Benoît XIII, il avait été capitaine sous le nom de Pierre

de Luna. Pendant cinq mois, il se défendit, pointant lui-même, du haut
des murailles du château, ses machines de guerre, bien autrement
meurtrières que ses foudres pontificales. Enfin, forcé de fuir, il sortit de
la ville par une poterne, après avoir ruiné cent maisons et tué quatre
mille Avignonnais, et se réfugia en Espagne, où le roi d'Aragon lui
offrit un asile. Là, tous les matins, du haut d'une tour, assisté de deux
prêtres, dont il avait fait son sacré collège, il bénissait le monde, qui
n'en allait pas mieux, et excommuniait ses ennemis, qui ne s'en
portaient
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