Les chansons de Bilitis | Page 8

Pierre Louÿs
parlent entre elles à voix basse. Moi, dans un petit coin, je file ma quenouille.
Quenouille, puisque je suis seule avec toi, c'est à toi que je vais parler. Avec la perruque de laine blanche tu es comme une vieille femme. écoute-moi.
Si je le pouvais, je ne serais pas ici, assise dans l'ombre du mur et filant avec ennui: je serais couchée dans les violettes sur les pentes du Tauros.
Comme il est plus pauvre que moi, ma mère ne veut pas qu'il m'épouse. Et pourtant, je te le dis: ou je ne verrai pas le jour des noces, ou ce sera lui qui me fera passer le seuil.

30 -- LA FL?TE DE PAN
Pour le jour des Hyacinthies, il m'a donné une syrinx faite de roseaux bien taillés, unis avec de la blanche cire qui est douce à mes lèvres comme du miel.
Il m'apprend à jouer, assise sur ses genoux; mais je suis un peu tremblante. Il en joue après moi, si doucement que je l'entends à peine.
Nous n'avons rien à nous dire, tant nous sommes près l'un de l'autre; mais nos chansons veulent se répondre, et tour à tour nos bouches s'unissent sur la fl?te.
Il est tard, voici le chant des grenouilles vertes qui commence avec la nuit. Ma mère ne croira jamais que je suis restée si longtemps à chercher ma ceinture perdue.

31 -- LA CHEVELURE
Il m'a dit: ? Cette nuit, j'ai rêvé. J'avais ta chevelure autour de mon cou. J'avais tes cheveux comme un collier noir autour de ma nuque et sur ma poitrine.
? Je les caressais, et c'étaient les miens; et nous étions liés pour toujours ainsi, par la même chevelure la bouche sur la bouche, ainsi que deux lauriers n'ont souvent qu'une racine.
? Et peu à peu, il m'a semblé, tant nos membres étaient confondus, que je devenais toi-même ou que tu entrais en moi comme mon songe. ?
Quand il eut achevé, il mit doucement ses mains sur mes épaules, et il me regarda d'un regard si tendre, que je baissai les yeux avec un frisson.

32 -- LA COUPE
Lykas m'a vue arriver, seulement vêtue d'une ex?mis succincte, car les journées sont accablantes; il a voulu mouler mon sein qui restait à découvert.
Il a pris de l'argile fine, pétrie dans l'eau fra?che et légère. Quand il l'a serrée sur ma peau, j'ai pensé défaillir tant cette terre était froide.
De mon sein moulé, il a fait une coupe, arrondie et ombiliquée. Il l'a mise sécher au soleil et l'a peinte de pourpre et d'ocre en pressant des fleurs tout autour.
Puis nous sommes allés jusqu'à la fontaine qui est consacrée aux nymphes, et nous avons jeté la coupe dans le courant, avec des tiges de giroflées.

33 -- ROSES DANS LA NUIT
Dès que la nuit monte au ciel, le monde est à nous, et aux dieux. Nous allons des champs à la source, des bois obscurs aux clairières, où nous mènent nos pieds nus.
Les petites étoiles brillent assez pour les petites ombres que nous sommes. Quelquefois, sous les branches basses, nous trouvons des biches endormies.
Mais plus charmant la nuit que toute autre chose, il est un lieu connu de nous seuls et qui nous attire à travers la forêt: un buisson de roses mystérieuses.
Car rien n'est divin sur la terre à l'égal du parfum des roses dans la nuit. Comment se fait-il qu'au temps où j'étais seule je ne m'en sentais pas enivrée?

34 -- LES REMORDS
D'abord je n'ai pas répondu, et j'avais la honte sur les joues, et les battements de mon coeur faisaient mal à mes seins.
Puis j'ai résisté, j'ai dit: ? Non. Non. ? J'ai tourné la tête en arrière et le baiser n'a pas franchi mes lèvres, ni l'amour mes genoux serrés.
Alors il m'a demandé pardon, il m'a embrassé les cheveux, j'ai senti son haleine br?lante, et il est parti... Maintenant je suis seule.
Je regarde la place vide, le bois désert, la terre foulée. Et je mords mes poings jusqu'au sang et j'étouffe mes cris dans l'herbe.

35 -- LE SOMMEIL INTERROMPU
Toute seule je m'étais endormie, comme une perdrix dans la bruyère. Le vent léger, le bruit des eaux, la douceur de la nuit m'avaient retenue là.
Je me suis endormie, imprudente, et je me suis réveillée en criant, et j'ai lutté, et j'ai pleuré; mais déjà il était trop tard. Et que peuvent les bras d'une fille?
Il ne me quitta pas. Au contraire, plus tendrement dans ses bras, il me serra contre lui et je ne vis plus au monde ni la terre ni les arbres mais seulement la lueur de ses yeux...
à toi, Kypris victorieuse, je consacre ces offrandes encore mouillées de rosée, vestiges des douleurs de la vierge, témoins de mon sommeil et de ma résistance.

36 -- AUX LAVEUSES
Laveuses, ne dites pas que vous m'avez vue! Je me confie à vous; ne le répétez pas! Entre ma
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