Les chansons de Bilitis | Page 9

Pierre Louÿs
tunique et mes seins je vous apporte quelque chose.
Je suis comme une petite poule effrayée... Je ne sais pas si j'oserai vous dire... Mon coeur bat comme si je mourais... C'est un voile que je vous apporte.
Un voile et les rubans de mes jambes. Vous voyez: il y a du sang. Par l'Apoll?n c'est malgré moi! Je me suis bien défendue; mais l'homme qui aime est plus fort que nous.
Lavez-les bien; n'épargnez ni le sel ni la craie. Je mettrai quatre oboles pour vous aux pieds de l'Aphroditê; et même une drachme d'argent.

37 -- CHANSON
Quand il est revenu, je me suis caché la figure avec les deux mains. Il m'a dit: ? Ne crains rien. Qui a vu notre baiser? --Qui nous a vus? la nuit et la lune,
? Et les étoiles et la première aube. La lune s'est mirée au lac et l'a dit à l'eau sous les saules. L'eau du lac l'a dit à la rame.
? Et la rame l'a dit à la barque et la barque l'a dit au pêcheur. Hélas, hélas! si c'était tout! Mais le pêcheur l'a dit à une femme.
? Le pêcheur l'a dit à une femme: mon père et ma mère et mes soeurs, et toute la Hellas le saura. ?

38 -- BILITIS
Une femme s'enveloppe de laine blanche. Une autre se vêt de soie et d'or. Une autre se couvre de fleurs, de feuilles vertes et de raisins.
Moi je ne saurais vivre que nue. Mon amant, prends-moi comme je suis: sans robe ni bijoux ni sandales voici Bilitis toute seule.
Mes cheveux sont noirs de leur noir et mes lèvres rouges de leur rouge. Mes boucles flottent autour de moi, libres et rondes comme des plumes.
Prends moi telle que ma mère m'a faite dans une nuit d'amour lointaine, et si je te plais ainsi n'oublie pas de me le dire.

39 -- LA PETITE MAISON
La petite maison où est son lit est la plus belle de la terre. Elle est faite avec des branches d'arbre, quatre murs de terre sèche et une chevelure de chaume.
Je l'aime, car nous y couchons depuis que les nuits sont fra?ches; et plus les nuits sont fra?ches, plus elles sont longues aussi. Au jour levant je me sens enfin lassée.
Le matelas est sur le sol; deux couvertures de laine noire enferment nos corps qui se réchauffent. Sa poitrine refoule mes seins. Mon coeur bat...
Il m'étreint si fort qu'il me brisera, pauvre petite fille que je suis; mais dès qu'il est en moi je ne sais plus rien du monde, et on me couperait les quatre membres sans me réveiller de ma joie.

40 -- LA JOIE (non traduite)

41 -- LA LETTRE PERDUE
Hélas sur moi! j'ai perdu sa lettre. Je l'avais mise entre ma peau et mon strophi?n, sous la chaleur de mon sein. J'ai couru, elle sera tombée.
Je vais retourner sur mes pas: si quelqu'un la trouvait, on le dirait à ma mère et je serais fouettée devant mes soeurs moqueuses.
Si c'est un homme qui l'a trouvée il me la rendra; ou même, s'il veut me parler en secret je sais le moyen de la lui ravir.
Si c'est une femme qui l'a lue, ? Dzeus Gardien, protège-moi! car elle le dira à tout le monde, ou elle me prendra mon amant.

42 -- CHANSON
? La nuit est si profonde qu'elle entre dans mes yeux. -- Tu ne verras pas le chemin. Tu te perdras dans la forêt.
-- Le bruit des chutes d'eau remplit mes oreilles. -- Tu n'entendrais pas la voix de ton amant même s'il était à vingt pas.
-- L'odeur des fleurs est si forte que je défaille et vais tomber. -- Tu ne le sentirais pas s'il croisait ton passage.
-- Ah! il est bien loin d'ici, de l'autre c?té de la montagne, mais je le vois et je l'entends et je le sens comme s'il me touchait. ?

43 -- LE SERMENT
? Lorsque l'eau des fleuves remontera jusqu'aux sommets couverts de neiges; lorsqu'on sèmera l'orge et le blé dans les sillons mouvants de la mer;
? Lorsque les pins na?tront des lacs et les nénufars des rochers, lorsque le soleil deviendra noir, lorsque la lune tombera sur l'herbe.
? Alors, mais alors seulement, je prendrai une autre femme, et je t'oublierai, Bilitis, ame de ma vie, coeur de mon coeur. ?
Il me l'a dit, il me l'a dit! Que m'importe le reste du monde! Où es-tu, bonheur insensé qui te compares à mon bonheur!

44 -- LA NUIT
C'est moi maintenant qui le recherche. Chaque nuit, très doucement, je quitte la maison, et je vais par une longue route, jusqu'à sa prairie, le regarder dormir.
Quelquefois je reste longtemps sans parler, heureuse de le voir seulement, et j'approche mes lèvres des siennes, pour ne baiser que son haleine.
Puis tout à coup je m'étends sur lui. Il se réveille dans mes bras, et il ne peut plus
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