Les aventures de M. Colin-Tampon | Page 7

Jules Girardin
il y va, elles y passeront toutes), faudra-t-il donc que je suive le m��me chemin?? Cette effroyable pens��e lui faisait courir des frissons dans le dos, et ses cheveux se dressaient d'horreur.

XI
Prodigue des pommes du prochain, l'inventeur du bouton inamovible les lan?ait �� toute vol��e dans la gueule b��ante de Martin: l'une n'attendait pas l'autre. Mais comme la main lui tremblait, et qu'il ��tait dans une violente agitation nerveuse, le fournisseur de Martin manquait souvent le but, et Martin recevait les pommes tant?t sur l'oeil, tant?t sur le nez. Au commencement, il se contentait de cligner l'oeil ou de froncer le nez; mais, quand sa premi��re faim fut assouvie, il se montra plus difficile, et le jeu lui d��plut.
Trouvant qu'on le servait mal, il prit la r��solution de se servir lui-m��me. Ce n'��tait pas d��j�� si mal raisonn�� pour un ��pais plantigrade. D'ailleurs il pensait, comme les ��coliers, que les fruits sont bien plus savoureux quand on les croque sur l'arbre. ?Allons, houp!? se dit-il pour s'encourager �� se lever. L��-dessus il se mit d'abord �� quatre pattes, renifla pour chasser une mouche importune, et se d��cida �� se dresser sur ses pattes de derri��re. Azor, qui le regardait de loin, la queue entre les jambes, trembla de tout son corps quand il vit Martin se redresser lourdement et se diriger vers le tronc du pommier.
Il s'assit tristement et regarda la terre, honteux sans doute de sentir si d��velopp�� en lui l'instinct de la conservation.
L'inventeur du bouton inamovible, qui le regardait de pr��s, de trop pr��s, h��las! sentit que ses rares cheveux se dressaient sur son crane pel��, et il comprit que sa fin ��tait proche. Alors il maudit pour la seconde fois l'audace t��m��raire qui l'avait lanc�� dans le vaste monde �� la poursuite du gibier �� plume et du gibier �� poil.
Que n'aurait-il pas donn�� pour ��tre tranquillement assis sous sa tonnelle ou au coin de son feu, les pieds dans ses pantoufles, lisant le Moniteur de Courbevoie ou le Petit Journal, ou bien faisant une partie de loto ou de b��sigue avec ses voisins de campagne? Il se f?t content�� �� moins; il aurait consenti, �� condition d'avoir la vie sauve, �� retourner au _Bouton-d'Or_ et �� servir la pratique. Il se f?t m��me trouv�� trop heureux de redevenir le simple apprenti qui couchait dans un galetas et mangeait de la morue cinq fois par semaine.
[Illustration: Son nouvel ami faisait fausse route.]
Car, apr��s tout, mieux vaut ��tre un pauvre apprenti bien vivant et bien portant, qu'un riche conseiller municipal mort et enterr��. Que dis-je, enterr��? Englouti serait le mot propre, et englouti �� la suite de huit ou dix quarterons de pommes! Quelle s��pulture pour un inventeur c��l��bre, pour un conseiller municipal, pour un homme riche qui s'��tait fait construire un tombeau de famille! Il recommanda son ame �� Dieu; ensuite, les larmes aux yeux, il donna une derni��re pens��e �� sa ch��re Anastasie, qui mourrait de chagrin en apprenant son funeste destin. S'il ne pensa pas �� ses enfants, c'est tout simplement parce qu'il n'avait pas d'enfants.

XII
D��j�� les griffes de l'ours grin?aient sur l'��corce de l'arbre, et sa puissante haleine chauffait les mollets du chasseur en d��tresse.
Pouss�� par l'instinct de la conservation, l'inventeur du bouton inamovible ex��cuta une laborieuse s��rie d'exercices gymnastiques, dont le r��sultat fut un changement de front. D��sormais il faisait face �� l'ennemi, et il tournait le dos �� l'extr��mit�� de la branche.
L'ours saisit le tronc du pommier entre ses bras puissants et se mit �� grimper prestement. A mesure qu'il grimpait, le chasseur reculait vers l'extr��mit�� de la branche.
L'ours, qui n'��tait pas une b��te, comprit que son nouvel ami faisait fausse route, et que, s'il pers��v��rait dans cette mauvaise voie, la branche casserait et l'ami se romprait les os. En vain il lui prodiguait les signes, les clins d'oeil; l'autre, qui se m��prenait sur ses intentions, battait toujours en retraite. Ce qui devait arriver arriva.
La branche cassa, et pour la seconde fois l'��chine de M. Colin-Tampon entra en collision violente avec le sol durci et raboteux. Tout �� coup un nouvel acteur parut sur la sc��ne. L'ours sembla d��sagr��ablement surpris; M. Colin-Tampon comprit qu'il ��tait sauv��.
Le nouveau venu ��tait un grand dr?le effront��, v��tu d'un costume exotique en lambeaux, porteur d'une moustache de Palicare et d'une longue chevelure emm��l��e qui bouffait �� tous les vents, sous une m��chante calotte rouge. Le grand dr?le d��guenill�� ��tait un montreur d'ours qui courait depuis deux heures apr��s sa b��te. Elle s'��tait ��chapp��e pendant qu'il buvait de l'eau-de-vie dans un cabaret.
Le devoir du conseiller municipal e?t ��t�� de demander au grand dr?le si ses papiers ��taient en r��gle. Vous me croirez si vous voulez, mais il n'y songea m��me pas.
?Martin, pas m��chant! dit le grand dr?le d'un air conciliant.
--C'est possible, r��pondit le chasseur en se frottant
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