Les amours jaunes | Page 6

Tristan Corbière
chant de berceau me monter:

«J'entends le renard, le lièvre,
Le lièvre, le loup chanter
... Va! nous aurons une chambrette
Bien fraîche, à papier bleu rayé;

Avec un vrai bon lit honnête
A nous, à rideaux ... et payé!
Et nous irons dans la prairie
Pêcher à la ligne tous deux,
Ou bien
mourir pour la patrie!...
--Tu sais, je fais ce que tu veux.
... Et nous aurons des robes neuves,
Nous serons riches à bâiller

Quand j'aurai revu mes épreuves!
--Pour vivre, il faut bien
travailler....
--Non! mourir....
La vie était belle
Avec toi! mais rien ne va plus....
A moi le pompon
d'immortelle
Des grands poètes que j'ai lus!
A moi, Myosotis! Feuille morte
De Jeune malade à pas
lent!

Souvenir de soi ... qu'on emporte
En croyant le
laisser--souvent!
--Décès: Rolla:--l'Académie--
Murger, Beaudelaire:--hôpital,--


Lamartine:--en perdant la vie
De sa fille, en strophes pas mal....
Doux bedeau, pleureuse en lévite,
Harmonieux tronc des
moissonnés
Inventeur de la larme écrite,

Lacrymatoire d'abonnés!...
Moreau---j'oubliais--Hégésippe,
Créateur de l'art-hôpital....
Depuis,
j'ai la phthisie en grippe;
Ce n'est plus même original.
--Escousse encor: mort en extase
De lui; mort phthisique d'orgueil.

--Gilbert: phthisie et paraphrase
Rentrée, en se pleurant à
l'oeil
.
--Un autre incompris: Lacenaire,
Faisant des vers en amateur
Dans
le goût anti-poitrinaire,
Avec Sanson pour éditeur.
--Lord Byron, gentleman-vampire,
Hystérique du ténébreux;

Anglais sec, cassé par son rire,
Son noble rire de lépreux.
--Hugo: l'Homme apocalyptique,
L'Homme-Ceci-tûra-cela,
Meurt,
gardenational épique;
Il n'en reste qu'un--celui-là!--
... Puis un tas d'amants de la lune,
Guère plus morts qu'ils n'ont vécu,

Et changeant de fosse commune
Sans un discours, sans un écu!
J'en ai lus mourir!... Et ce cygne
Sous le couteau du cuisinier:

--Chénier--... Je me sens--mauvais signe!--
De la jalousie.--O métier!
Métier! Métier de mourir....
Assez, j'ai fini mon étude.
Métier: se
rimer finir!...
C'est une affaire d'habitude.
Mais non, la poésie est: vivre,
Paresser encore, et souffrir
Pour toi,
maîtresse! et pour mon livre;
Il est là qui dort
--Non: mourir!

Sentir sur ma lèvre appauvrie
Ton dernier baiser se gercer,
La mort
dans tes bras me bercer....
Me déshabiller de la vie!...
(Charenton.--Avril.)
INSOMNIE
Insomnie, impalpable Bête!
N'as-tu d'amour que dans la tête:
Pour
venir te pâmer à voir,
Sous ton mauvais oeil, l'homme mordre
Ses
draps, et dans l'ennui se tordre!...
Sous ton oeil de diamant noir.
Dis: pourquoi, durant la nuit blanche,
Pluvieuse comme un dimanche,

Venir nous lécher comme un chien:
Espérance ou Regret qui veille,

A notre palpitante oreille
Parler bas ... et ne dire rien?
Pourquoi, sur notre gorge aride,
Toujours pencher ta coupe vide
Et
nous laisser le cou tendu,
Tantales, soiffeurs de chimère:
--Philtre
amoureux ou lie amère
Fraîche rosée ou plomb fondu!--
Insomnie, es-tu donc pas belle?...
Eh pourquoi, lubrique pucelle,

Nous étreindre entre tes genoux?
Pourquoi râler sur notre bouche,

Pourquoi défaire notre couche,
Et ... ne pas coucher avec nous
Pourquoi, Belle-de-nuit impure,
Ce masque noir sur ta figure?...

--Pour intriguer les songes d'or?...
N'es-tu pas l'amour dans l'espace,

Souffle de Messaline lasse,
Mais pas rassasiée encor!
Insomnie, est-tu l'Hystérie....
Es-tu l'orgue de barbarie
Qui moud
l'Hosannah des Élus?...
--Ou n'es-tu pas l'éternel plectre,
Sur
les nerfs des damnés-de-lettre,
Raclant leurs vers--qu'eux seuls ont
lus.
Insomnie, es-tu l'âne en peine
De Buridan--ou le phalène
De
l'enfer?--Ton baiser de feu
Laisse un goût froidi de fer rouge....
Oh!

viens te poser dans mon bouge!...
Nous dormirons ensemble un peu.
LA PIPE AU POÈTE
Je suis la Pipe d'un poète,
Sa nourrice, et: j'endors sa Bête.
Quand ses chimères éborgnées
Viennent se heurter à son front,
Je
fume.... Et lui, dans son plafond,
Ne peut plus voir les araignées.
... Je lui fais un ciel, des nuages,
La mer, le désert, des mirages;
--Il
laisse errer là son oeil mort....
Et, quand lourde devient la nue,
Il croit voir une ombre connue,
--Et
je sens mon tuyau qu'il mord.
--Un autre tourbillon délie
Son âme, son carcan, sa vie!
... Et je me
sens m'éteindre.--Il dort--

--Dors encor: la Bête est calmée,
File ton rêve jusqu'au bout....

Mon Pauvre!... la fumée est tout.
--S'il est vrai que tout est
fumée....
(Paris--Janvier)
LE CRAPAUD
Un chant dans une nuit sans air....
--La lune plaque en métal clair

Les découpures du vert sombre.
... Un chant; comme un écho, tout vif
Enterré, là, sous le massif....

--Ça se tait: Viens, c'est là, dans l'ombre....
--Un crapaud!--Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle!

Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue....--Horreur!--
... Il chante.--Horreur!!--Horreur pourquoi
Vois-tu pas son oeil de

lumière....
Non: il s'en va, froid, sous sa pierre.

Bonsoir--ce crapaud-là c'est moi.
(Ce soir, 20 Juillet.)
FEMME
la Bête fer
Lui--cet être faussé, mal aimé, mal souffert,
Mal haï--mauvais livre ... et pire: il m'intéresse.-- S'il est vide après
tout.... Oh mon dieu, je le laisse,
Comme un roman pauvre--entr'ouvert.
Cet homme est laid....--Et moi, ne suis-je donc pas belle,
Et belle encore pour nous deux!--
En suis-je donc enfin aux rêves de
pucelle?...
--Je suis reine: Qu'il soit lépreux!
Où vais-je--femme!--Après ... suis-je donc cas légère
Pour me relever d'un faux pas!
Est-ce donc Lui que j'aime?--Eh non!
c'est son mystère....
Celui que peut-être Il n'a pas.
Plus Il m'évite, et plus et plus Il me poursuit....
Nous verrons ce dédain suprême.
Il est rare à croquer, celui-là qui me
fuit!...
Il me fuit--Eh bien non!... Pas même.

... Aurais-je ri pourtant! si, comme un galant homme,
Il avait allumé ses feux....
Comme Ève--femme
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