Les amours jaunes | Page 5

Tristan Corbière

«C'est le chant de l'alouette,
Juliette!
Et c'est le chant du dindon....
Je te fais, comme l'aurore
Qui te dore,
Un rond d'or sur l'édredon.»
A UNE ROSE
Rose, rose-d'amour vannée,
Jamais fanée.
Le rouge-fin est ta couleur,
O fausse-fleur!
Feuille où pondent les journalistes
Un fait-divers,
Papier-Joseph, croquis d'artistes:
--Chiffres ou vers--
Coeur de parfum, montant arôme
Qui nous embaume ...
Et ferait même avec succès,
Après décès;
Grise l'amour de ton haleine,
Vapeur malsaine,
Vent de pastille-du-sérail,
Hanté par l'ail!
Ton épingle, épine-postiche,

Chaque nuit fiche
Le hanneton-d'or, ton amant ...
Sensitive ouverte,
arrosée
De fausses-perles de rosée,
En diamant!
Chaque jour palpite à la colle
De ta corolle
Un papillon-coquelicot,
Pur calicot.
Rose-thé!...--Dans le grog, peut-être!--
Tu dois renaître
Jaune, sous le fard du tampon,
Rose-pompon!
Vénus-Coton, née en pelotte,
Un soir-matin,
Parmi l'écume ... que culotte
Le clan rapin!
Rose-mousseuse, sur toi pousse
Souvent la mousse
De l'Ai..... Du BOCK plus souvent
--A 30 Cent.
--Un coup-de-soleil de la rampe!
Qui te retrempe;
Un coup de pouce à ton grand air
Sur fil-de-fer!...
Va, gommeuse et gommée, ô rose
De couperose,
Fleurir les faux-cols et les coeurs,

Gilets vainqueurs!
A LA MÉMOIRE DE ZULMA
Vierge-folle hors barrière et
D'UN LOUIS

Bougival, 8 mai.
Elle était riche de vingt ans,
Moi j'étais jeune de vingt francs,
Et
nous fîmes bourse commune,
Placée, à fond-perdu, dans une

Infidèle nuit de printemps....
La lune a fait trou dedans,
Rond comme un écu de cinq francs,
Par
où passa notre fortune:
Vingt ans! vingt francs!... et puis la lune!
--En monnaie--hélas--les vingt francs!
En monnaie aussi les vingt ans!

Toujours de trous en trous de lune,
Et de bourse en bourse
commune....
--C'est à peu près même fortune!

--Je la trouvai--bien des printemps,
Bien des vingt ans, bien des vingt
francs,
Bien des trous et bien de la lune
Après--Toujours vierge et
vingt ans,
Et ... colonelle à la Commune!

--Puis après: la chasse aux passants,
Aux vingt sols, et plus aux vingt
francs....
Puis après: la fosse commune,
Nuit gratuite sans trou de
lune.
(Saint-Cloud.--Novembre)
BONNE FORTUNE et FORTUNE
Odor della feminita

Moi, je fais mon trottoir, quand la nature est belle,
Pour la passante
qui, d'un petit air vainqueur,
Voudra bien crocheter, du bout de son
ombrelle,
Un clin de ma prunelle ou la peau de mon coeur....
Et je me crois content--pas trop!--mais il faut vivre:
Pour promener
un peu sa faim, le gueux s'enivre....
Un beau jour--quel métier!--je faisais, comme ça,
Ma
croisière.--Métier!...--Enfin, Elle passa
--Elle qui?--La Passante! Elle,
avec son ombrelle!
Vrai valet de bourreau, je la frôlai ...---mais Elle
Me regarda tout bas, souriant en dessous,
Et ... me tendit sa main,
et ...
m'a donné deux sous.
(Rue des Martyrs.)
A UNE CAMARADE
Que me veux-tu donc, femme trois fois fille?...
Moi qui te croyais un
si bon enfant!
--De l'amour?...--Allons: cherche, apporte, pille!

M'aimer aussi, toi!... moi qui t'aimais tant.
Oh! je t'aimais comme ... un lézard qui pèle
Aime le rayon qui cuit
son sommeil....
L'Amour entre nous vient battre de l'aile:
--Eh! qu'il
s'ôte de devant mon soleil!
Mon amour, à moi, n'aime pas qu'on l'aime;
Mendiant, il a peur d'être
écouté....
C'est un lazzarone enfin, un bohème,
Déjeunant de jeûne
et de liberté.
--Curiosité, bibelot, bricolle?...
C'est possible: il est rare--et c'est son
bien--
Mais un bibelot cassé se recolle;
Et lui, décollé, ne vaudra
plus rien!...

Va, n'enfonçons pas la porte entr'ouverte
Sur un paradis déjà trop
rendu!
Et gardons à la pomme, jadis verte,
Sa peau, sous son fard
de fruit défendu.
Que nous sommes-nous donc fait l'un à l'autre?...
--Rien....--Peut-être
alors que c'est pour cela;
--Quel a commencé?--Pas moi, bon apôtre!

Après, quel dira: c'est donc tout--voilà!
--Tous les deux, sans doute....--Et toi, sois bien sûre Que c'est encor
moi le plus attrapé:
Car si, par erreur, ou par aventure,
Tu ne me
trompais ... je serais trompé!
Appelons cela: l'amitié calmée;
Puisque l'amour veut mettre
son holà.
N'y croyons pas trop, chère mal-aimée....
--C'est toujours
trop vrai ces mensonges-là!--
Nous pourrons, au moins, ne pas nous maudire
--Si ça t'est égal--le
quart-d'heure après.
Si nous en mourons--ce sera de rire....
Moi qui
l'aimais tant ton rire si frais!
UN JEUNE QUI S'EN VA
Morire.
Oh le printemps!--Je voudrais paître!...
C'est drôle, est-ce pas: Les
mourants
Font toujours ouvrir leur fenêtre,
Jaloux de leur part de
printemps!
Oh le printemps! Je veux écrire!
Donne-moi mon bout de crayon

--Mon bout de crayon, c'est ma lyre--
Et--là--je me sens un rayon.
Vite!... j'ai vu, dans mon délire,
Venir me manger dans la main
La
Gloire qui voulait me lire!
--La gloire n'attend pas demain.--
Sur ton bras, soutiens ton poète,
Toi, sa Muse, quand il chantait,

Son Sourire quand il mourait,
Et sa Fête ... quand c'était fête!

Sultane, apporte un peu ma pipe
Turque, incrustée en faux saphir,

Celle qui va bien à mon type....
Et ris!--C'est fini de mourir;
Et viens sur mon lit de malade;
Empêche la mort d'y toucher,

D'emporter cet enfant maussade
Qui ne veut pas s'aller coucher.
Ne pleure donc plus,--je suis bête--
Vois: mon drap n'est pas un
linceul....
Je chantais cela pour moi seul....
Le vide chante dans ma
tête.
Retourne contre la muraille.
--Là--l'esquisse--un portrait de toi--

Malgré lui mon oeil soûl travaille
Sur la toile.... C'était de moi.
J'entends--bourdon de la fièvre--
Un
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